De passage en Israël, je suis chez mes parents. Ils ont une maison mitoyenne à celle de mon oncle et sa famille. C’est le petit frère de mon papa et D. Bénisse il a plein d’enfants dont des jumeaux et des triplés qu’ils ont eus avec sa femme à neuf mois d’intervalle. Même si aujourd’hui ces derniers ont respectueusement 20 ans (fois 2) et 21 ans (fois 3), je regarde toujours ce couple avec une sorte de respect silencieux en mode : après ça, vous pouvez devenir les maîtres du monde !

Avec mes parents nous sommes invités vendredi soir chez eux. Temps de trajet pour nous y rendre : 22 secondes.
La table est Waouh, ainsi que les 12 personnes qui nous accueillent chaleureusement.
Comme depuis trois ans je ne me suis pas rendue en terre promise, au niveau des enfants, j’ai du mal à me rappeler qui est qui. Mon regard vide leur donnera la bonne idée de se présenter chacun leur tour. Je comprends vite qu’il y a l’artiste-décalé, Elyaou . Toute la soirée, sa mini Kippa se perdra dans les méandres de ses boucles et de sa barbe qui n’ont pas croisé une paire de ciseaux depuis cinq ans !
Le tatoué du biceps avec un diamant à l’oreille (ce n’était pas à la mode dans les années 90 ça !? Je crois que Will Smith a toujours la sienne !), est assis à côté de l’un de ses frères, Mévourah’, en costume/barbe/péotte ultra longue. À part Robinson Crusoé et petit beau gosse musclé-gominé, tous les autres sont dans l’équipe « orthodoxe »’, même les filles. Peu après, on passe aux chansons et au Kiddoush et qu’est-ce que je vois !? Mirage de chez mirage, 8/12 de mes cousins se préparent un thé à la menthe chaud pour accompagner le repas. Je suis choquéeeeeee ! C’est exactement ce que je fais à TOUS les repas ! Ils sont comme moi ! Je suis comme eux ! ILS SONT MA FAMILLE !
Après le lavage des mains and co, on trinque au thé à la menthe et on discute ! Contrairement à mes frères et sœurs qui sont bilingues hébreu-français, je ne parle pas un mot d’hébreu. Même pas KSAT/ un peu. Entre deux gorgées brûlantes, je leur parle en anglais. Ils me répondent en français/ anglais/ arabe. J’apprends que 6/12 de mes cousins sont en Yéshiva. Par curiosité, je demande à l’un d’eux ce qu’il étudie. Il me répond un peu de tout. Après, un autre, Yaïr, prend de mes nouvelles, car il avait eu vent que j’avais été malade :
-Grâce à D. Top ! D’ailleurs j’ai une histoire canon à vous raconter qui m’est arrivée lors de mon hospitalisation. C’est un miracle avec le Rabbi !
J’ai une capacité à raconter les mêmes histoires 300 fois sans jamais en avoir marre ! Encore un truc de ma personnalité qui sert à rien!
Itzhak (l’un des jumeaux) me demande :
– Qui ?
– Le Rabbi.
– C’est qui ?
– Tu sais barbe/ Chapeau/ 770 / Ohel, ça te dit quelque chose ?
Tout le monde s’arrête de manger même mon oncle ! Je sens les regards de côté. Je fais totale abstraction et je raconte le moment où je vais en salle d’opération, où je pense au Rabbi et que lui et sa femme apparaissent sur le perron du 770, me font coucou et quelques secondes plus tard, l’opération est annulée. J’apprendrai quelques heures plus tard, que c’était la date d’anniversaire de mariage du Rabbi et de la Rabbanite. Je conclus par un très distingué : « C’est ouf, non ? »
Mon histoire tombe comme une moufleta congelée à la sortie de Pessah’. Pourtant, j’avais mis le ton… les temps de pause pour l’effet suspens, le rythme. Je leur redemande :
– Alors, elle est pas cool mon histoire ?
L’un d’eux me demande si c’est bien moi la sœur qui est romancière.
– Bah oui, pourquoi ?
Il me sort que je ne me suis pas foulée question imagination.
_ Je n’ai rien imaginé du tout !
Ma petite cousine Shira (l’une des triplettes) que son père appelle Shiroula*, d’ailleurs je me suis mis à dire à la petite que c’était trop marrant que son père la surnommait ainsi et qu’elle le prenait bien puisque cela voulait dire… Je vois mon oncle me faire des grands signes : « non, non tais-toi, ne lui dis pas ! »… Oups trop tard. Une fois, avoir bien foutu la mouise entre le père et la fille, je tends l’oreille vers mes 11/12 cousins et l’un d’eux me dit :
– Genre toi quand t’es stressée tu penses à une maison à Brooklyn ? Excuse-moi mais c’est nul.
_ Mais non ça s’appelle de la visualisation. T’emmènes ton esprit là où tu veux… dis comme ça, ça fait percher, mais je t’assure que ça marche hyper bien.
– Moi je te comprends à fond, me dit l’artiste-le décalé, Elyaou. Moi aussi quand je peins, je vois des trucs. Au fait, t’as pas des contacts à New York pour que j’expose mes toiles.
– Non mais je peux demander à mes copines.
Et plus pour moi que pour l’assemblée, je conclus :
– Bon, en tout cas j’ai une forte connexion avec le Rabbi.
La petite Shiroula qui a juré de ne PLUS JAMAIS PARLER À SON PÈRE DE SA VIE (chez les marocains cette phrase n’ait pas à prendre à la légère !), et me conseille vivement de ne pas trop la ramener avec mon Habbadisme parce qu’eux sont pas du tout branché la-dessus.
– Euh… Ok.
On finit le repas sur une touche sucrée avec les gâteaux, et sacrée avec le Birkat.
En rentrant à la maison mes parents et moi, on débrief : t’as vu c’était bon. Ils sont tous sympas. La grand-mère a bu beaucoup et pas que du thé… etc. et ils me demandent si je me sens réellement proche du mouvement Habad.
Mon père me dit que tant que je n’ai pas étudié sincèrement la Hassidout, les écrits du Baal Chem tov, la dynastie et le reste je ne suis pas crédible !
-C’est facile d’aimer un mouvement pour le folklo. Étudie et après tu verras. Moi aussi, j’ai fait un voyage en 1991 et j’ai eu la chance de rencontrer le Rabbi et d’obtenir un dollar et sa bénédiction. Il aurait été prétentieux de me considérer Habad. Mais tu sais ma fille, le plus important c’est que tu continues à écrire et de diffuser la Torah à ta manière.
– Je t’avoue qu’avec tout ce qui m’est arrivée cette année, je me trouve moins fun qu’avant ! Je veux épargner les personnes qui me lisent.
– C’est dans ta tête tout ça ! Écris, continue d’écrire. Il y a quelques années, au début quand tu t’es lancée, avec ta mère nous n’étions pas très rassurés que tu te montres comme ça (dans ma famille, les miens n’aiment pas du tout s’exposer, ils sont plutôt discrets. Vous imaginez le carnage que j’ai foutu avec mes chroniques !), mais maintenant on a compris que c’est important.
–Justement en parlant de montrer des trucs : après Chabbat, je peux filmer ta synagogue qui est au sous-sol. Ça fait très clandestin ! Très instagrammable !
–Si tu fais ça, je te coupe les mains et je ne te parle plus jamais !
–Ok ! Cette phrase marche plus !
–Tu veux vraiment retenter l’expérience !?
–Non, c’est bon ! En 2011, j’ai encore le souvenir de ton mutisme pendant plus de 3 ans, tout ça parce que je t’avais pas répété un secret ! Bref.
Je vous fais des gros bisous. Le courrier du cœur a repris, si vous en avez gros sur la patate et que vous souhaitez vous soulager contactez-moi sur junesdavis55@gmail.com. Pour commander mes livres : https://www.junes-davis.com/boutique-mes-livres/
Lexique :
Shiroula : Roula veut dire “avoir de la suite dans les idées”, “dégourdie”, un peu manipulatrice, et dans certains cas aguicheuse. Si quelqu’un a une meilleur traduction, je prends.
Moufleta : crêpe marocaine
Marocain : qui est fière, se vexe à peu près pour tout. Adore les compliments et question gestion de l’argent y a deux trois trucs à dire, mais après on tombe dans des clichés.
Loulou : petit raccourci pour dire Lubavitch.
1 comment
Quel bonheur de te lire et de te retrouver!!!! Bhh