À l’époque où tu croyais que tu étais pauvre…
Lorsque je fais un brushing à l’une de ma fille,
je me rappelle toujours de l’époque où je partais vadrouiller avec ma petite sœur dans le 11e arrondissement, et plus précisément à Belleville, pour aller nous faire coiffer. On avait quinze/seize ans et l’un de nos seuls buts dans la vie était d’avoir le cheveu raide. Le souci majeur c’est que nous étions encore des écolières et que notre budget « coiffeur » était aussi mince que notre droit de sortie le soir.
Grâce au bouche-à-oreille des copines, ou plutôt de leurs boucles qui remontaient jusqu’aux oreilles, on s’était trouvé un petit salon qui affichait des tarifs défiant toute concurrence. Le shampoing + brushing était à 15 euros ! Une aubaine ! Rien à faire que le salon paye pas de mine. La seule chose qui ne nous minait pas, c’était de pouvoir dompter notre chevelure sans nous ruiner. Je me souviens encore de notre première fois là-bas, qui a bien failli nous être fatale.
Lorsque l’on nous avait fait assoir sur l’un des fauteuils collés au bac, (qui n’avait rien à voir avec l’examen.
Quoi que… si tu sortais vivantes de ce test, c’est que vous aviez beaucoup de chance, on passait à un cheveu du coup du lapin. Surtout quand Fatima d’une brusquerie inouïe, renversait nos têtes pour avoir accès à nos tignasses. Après, venait le moment fatidique du « lavage des cheveux », ou plutôt du « lustrage intensif de nos crânes » ! Généralement à ce stade, notre shampouineuse nous racontait son weekend/sa semaine/ ou ses (nombreux !) déboires amoureux.
Pour pimenter ses récits forts palpitants, elle avait l’habitude de parler avec ses mains.
Ayant ces outils de langage bloqués par la manipulation du jet d’eau et l’étalage de shampoing, elle réussissait l’exploit de continuer à sans servir ! Pauvres de nous, prises en otages, nous tentions par tous les moyens de suivre le mouvement de ses mains. Même en ayant acquis un bon entrainement, à force de venir et de revenir chaque semaine, tu ne pouvais éviter l’avalanche d’eau glaciale (l’eau chaude) ça coûte cher qui s’abattait sur toi ! Ton maquillage était ruiné d’office mais là où tu pouvais encore t’en sortir, c’était d’éviter d’avoir ton dos trempé jusqu’en bas de ton sous-vêtement. Et ainsi ne pas s’attraper une pneumonie carabinée au moment tu sortais « rescapée » du salon !
Passer ce moment « de détente »,
on devait aussi fermer les yeux sur la serviette douteuse avec laquelle, on nous séchait les cheveux ! Au vu des tâches, et le stade final de cette chose qui avait dû être un jour douce (dans une vie antérieur) et non rocailleux, on s’était souvent demandé avec ma sœur, si Fatima n’avait pas récupéré un stock de serviettes dans un hôpital militaire qui avait dû panser les plaies des combattants pendant la seconde guerre mondiale. Ensuite venait le moment où elle te faisait ton brushing ! Chrono en marche c’était 10 minutes par tête ! La température du séchoir au maximum. La fumée abondante qui sortait du moteur, t’alarmait de deux manières : Où l’appareil allait clamser sous peu ou tu assistais à la mort subite de certains endroits de ta chevelure. Heureusement Fatima savait toujours te rassurer :
–T’inquiète pas pour la fumée, c’est normal ! C’est le surplus de shampoing que j’ai pas bien lavé tout à l’heure qui est en train de partir.
–Ah ! Ouf, me voilà rassurée !
–Allez arrête de te stresser et raconte-moi plutôt ou ça en est avec ton petit copain.
–Lequel ?
–Je ne sais pas, celui de la dernière fois.
Comme déjà en ces temps,
j’avais une (très très forte) tendance à raconter ma vie à celui qui était prêt à l’entendre. J’en ai épuisée plus d’une ! C’était avec délice que je confiais mes petites histoires sous les tympans effarés de ma sœur. Elle détestait raconter sa vie ! Et c’est toujours le cas !Une fois l’épreuve finie, elle et moi repartions le buste trempé, nos cheveux lissés à souhait, ravies de notre notre reflet dans le miroir. On s’octroyait même une petite virée shopping chez Roxy (Romy maintenant). On se jurait l’une à l’autre, qu’un jour nous aurons les moyens d’aller dans un vrai salon !
Depuis cette époque d’insouciance,
un nombre incalculable de brushing a été effectué sur nos crinières respectives. Aujourd’hui, je peux me permettre d’aller chez un coiffeur (2 fois l’an) ou l’usage des serviettes reste uniquement à celui du séchage. Cela dit, chaque fois que je vais chez le coiffeur et que je pose mon cou sur le bac, je repense avec une pointe de nostalgie au salon de Fatima. Lorsqu’une shampouineuse me renverse une petite goutte d’eau sur mon visage, ou mon front, et que je l’entends s’excuser trois cent fois de suite, je souris intérieurement et pense très fort : « Si tu savais chérie ! Avant toi, j’ai reçu des cascades d’eau, y a pas de problème. Et sois plus énergique dans ton shampoing steuplait ! C’est mou, mou, mou tout ça. » Faut voir leur tête, quand vint le moment de passer en caisse, où je leur donne un bon tips/ pourboire alors qu’elles pensaient qu’avec « leur bévue », leur chance d’en avoir un était ruinée.
Cependant, je n’ai qu’un regret : à cette époque je me croyais pauvre. C’est seulement maintenant que je réalise que j’étais en réalité riche. Riche d’être avec ma sœur et d’avoir des fous rire à se tenir le ventre tellement on riait comme des folles toutes les deux. Riche de parler à Fatima comme si je parlais à une véritable amie à qui je pouvais tout confier sans retenue. Depuis, chaque fois que je raconte à mes filles mes péripéties de brushing, elles n’ont qu’un rêve :
–Quand est ce qu’on va à Belleville pour aller se faire un brushing !
Je vous embrasse. À mercredi pour un nouvel article.
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