Ce jour-là, j’ai reçu un message de Micka Davis, mon mari, qui me demande de le retrouver près de Times Square pour une mystérieuse destination. Je vous avoue que lui et moi étions dans une période où notre tuyau de communication était un peu bouché. Eh oui, ça arrive parfois, entre deux personnes, qu’il y ait des hauts et des creux. Cela s’appelle en langage courant et non en mythologie : le couple ! Donc, recevoir son invitation m’avait fait drôlement plaisir, sauf que je déteste les surprises ! (La fille pas tatillonne pour un sou !). Je le cuisine en insistant un peu (lourdement !) sur l’endroit où il me propose de nous rendre, ainsi, vingt-deux Whatsapps plus tard, il crache virtuellement parlant le morceau :
Le consulat français a envoyé à tous les french qui habitent à New York, une invit’ pour rencontrer Marc Levy. Je me suis dit que ce serait sympa…
Sympa ? Je sais pas. J’ai lu Marc Levy et son fameux : « Et si c’était vrai », qui a été adapté au ciné avec la Reese Winter Spoon et Mark Ruffalo, ainsi que : « Le voleur d’ombres ». Je crois que j’en ai lu d’autres, mais comme pour Musso, je ne retiens ni la couv’, ni les titres de leurs romans. Est-ce que j’aime son style et son univers ? Cela mérite une discussion autour d’un cappuccino chez Éric Kayser (Tu vas plus au Starbucks ? Non, c’est démodé depuis que Kayser s’est implanté un peu partout sur l’île !). On est d’accord que l’argument universel des Levy, c’est qu’ils sont considérés comme le « niveau zéro de la littérature ». D’un autre côté, s’il est payé un million de dollars par bouquin (oui, oui, le journaliste qui l’interrogeait ce jour-là a balancé l’info !), c’est que cet auteur a une majorité de lecteurs qui aiment bien ce niveau ! Apparemment, en Asie, il a un succès monstre.
Après réflexion, je réponds par texto : C d’acc ! A tt a l’hr.
Une heure avant, j’envoie aux copines que je vais voir Marc, et là, on m’informe (vidéo à l’appui !) que Monsieur Levy est contre la politique de Tsahal, et est à tendance pro-palestinienne.
Ah…
Réaction de base pour une sioniste comme moi qui ne rêve que de vivre en Israël : « Micka, apparemment le gars est pro-palo. Laisse tomber, il mérite pas qu’on perde notre temps à aller le voir. »
Mon mari qui est un peu (voir beaucoup plus!) réfléchi que moi, me dit :
Écoute, c’est un évènement gratuit (il est semi-marocain !), c’est un écrivain de renom. Viens on y passe cinq minutes, et si c’est naze, on se tire.
J’argumente que celui qui est contre Israël ne mérite même pas qu’on passe, mais Micka me sort la phrase (de réconciliation) qui tue : « C’est ma façon de te montrer que je m’intéresse à ce que tu fais, malgré ce que tu penses… »
Ah ! nous y voilà : Micka Davis qui n’a jamais lu une ligne de ce que j’écris. Chroniques, livres, articles confondus. Rien, nada, walou ! J’ai même pensé à écrire sur des panneaux publicitaires près de son boulot, rien que pour qu’il me lise, mais j’ai peur de me faire arrêter pour vandalisme. (Et après, on se demande pourquoi il y a de la tension ! Genre, il a ses raisons ! Bref…). Donc on y va. On arrive dans un endroit méga classe, dans un building sur Times Square. On nous dirige vers un étage entier décoré sur le thème de Versailles. Je suis émue parce que comme mon prochain romain portera sur les juifs à Versailles (une histoire méga intrigante d’une jeune fille du 20ème siècle qui va rêver qu’elle atterrit au Trianon en 1687. Tout un programme !), je prends cela comme un petit clin d’œil de D. (style, je te suis de loin, ma fille !).
On s’assoit sur des sièges en velours rouge, et on se rend vite compte que le public est composé de français, et qu’il n’est pas communautaire. Marc Levy arrive. Je remarque qu’il a pris un sacré coup de vieux, mais qu’il est toujours potable (C’est d’une classe ce que t’écris ! Désolée, j’ai passé une partie de ma scolarité à Belleville, et parfois, ça remonte !).
Je me mets à crier bien fort :
– Je te préviens, Micka, s’il dit un truc contre Israël, je me tire !
Mon mari, rouge de honte, me souffle que l’écrivain m’a entendue ! Ce à quoi je réponds que c’était voulu ! Déjà que je me sens comme une vendue…
L’interview commence, l’auteur parle de ses personnages, sa vie, ses envies, et contre toute attente, non seulement il est très intéressant, mais en plus, il parle de son identité juive, et la revendique ! Il se traite de vraie mère juive à tout va, raconte son comportement ultra protecteur, limite étouffant envers ses enfants. Je l’écoute parler avec passion de son métier (notre métier ? Lol, la meuf qui s’y croit ! ). Il confie les raisons qui l’ont poussé à quitter la France, en partie à cause de la montée de l’antisémitisme ! Puis aussi le fait que son fils commençait ses études à San Francisco, et qu’il ne pouvait concevoir de vivre à dix mille kilomètres de lui.
Le plus fascinant, contrairement à ce que j’ai pu lire sur lui, c’est que je l’ai trouvé humble… surtout quand il a formulé cette réponse quand on lui a demandé :
– Est-ce que vous avez toujours su que vous vouliez être écrivain ?
– J’ai très vite compris que je n’étais ni Zola, ni Balzac. Au contraire, j’ai toujours su que je n’avais pas un grand talent. En revanche, la seule chose qui m’a permis d’arriver là où j’en suis aujourd’hui, c’est le fait d’être un grand travailleur. Il y a une différence entre « se prendre au sérieux » et « travailler sérieusement. » Je suis dans la deuxième catégorie. En période d’écriture, je bosse entre quatorze et seize heures par jour. (En même temps, moi aussi si je suis payée un million de dollars par ma maison d’édition, je veux bien bosser autant.)
Et après l’avoir écouté plus d’une heure quarante-cinq répondre à des questions tantôt pertinentes, tantôt embarrassantes (quand est la dernière fois que vous avez pleuré ? Vous mangez quoi au petit dej’ ?), même si je n’étais pas d’accord avec certaines de ses réponses, je trouvais que ses mots transpiraient de sincérité… (on a jamais vu des mots transpirer ! Bref, on s’est compris). Le gars m’a soufflée par son honnêteté.
Seulement voilà, il reste un pro-palestinien ! Écouter ce personnage public, de surcroit juif, et ressentir une certaine admiration lorsqu’il parle de son boulot, est-ce que cela fait de moi une vendue, coupable de trahison ?
Je partage cette réflexion avec mon mari, quand celui-là même m’a poussée à aller lui parler, et lui offrir mon dernier roman. En prévision de cette soirée, mon homme l’avait pris avec lui sans me le dire (belle preuve de son soutien, MÊME S’IL NE ME LIT JAMAIS !). Oui mais voilà, avant de trouver le « courage » d’aller le lui remettre, j’avais des doutes sur mon geste :
– Honey, est-ce que tu penses que l’on peut séparer l’auteur de l’homme qui a des idées politiques radicalement opposées aux miennes ?
Ce à quoi Micka D. m’avait répondu :
– Dis-toi que le gars, il est de la maison, et qu’il est juste égaré. En attendant, essaye de faire preuve de tolérance et d’accepter qu’on puisse être un juif, le revendiquer, et ne pas soutenir son pays. Et puis, si ça se trouve il a changé d’avis depuis sa vidéo qui date, il a peut-être évolué. Donnons-lui le bénéfice du doute.
Et c’est avec ce bénéfice que j’étais allée voir Marc Levy (il était tout seul, les participants s’étaient tous rués vers le cocktail d’à côté. Gratuit. Les crevards !) en lui disant que j’avais aimé ce qu’il avait dit, et lui offrant mon livre juste pour partager cette passion commune.
Passion commune, passion commune, t’as noté ton number au moins ? Ouiiiii ! Sa femme à côté était ravie.
En tout cas votre avis sur la question m’intéresse beaucoup : Peut-on séparer l’homme et ses croyances e l’artiste ?
Mon email : Junesjunesdavis55@gmail.com
Je vous embrasse, à très vite.
Pour commander mes livres c’est sur junesdavis.com
Jeudi, c’est Lag baomer, sérieux, les hommes vont pouvoir se raser. Il est temps, j’ai l’impression de vivre avec Robinson Crusoé. Bisous