Soeur Galin et mon entrée au consistoire
Après six ans de bons et loyaux services au service de la communauté de Caen, je prenais donc le poste de Rabbin de la communauté de Clichy. Cette synagogue faisait partie des communautés consistoriales Et ainsi par ce biais, j’ai intégré l’ACIP/ le consistoire de Paris en 1991. J’avais pris cette décision car il devenait urgent pour vous, mes enfants, (qui fréquentaient des écoles non-juives), QUE vous preniez le chemin d’établissements juifs. Il vous fallait une structure pour parfaire votre éducation religieuse.
En parallèle, après un entretien avec mon ami le Rav Akoun, j’avais accepté le job de responsable de centreS aéréS et de colonieS de vacances. Ainsi, pendant quelques années, j’ai porté plusieurs casquettes à savoir celle De rabbin de communauté et celle d’éducateur avec les enfants.
Avant de te poursuivre mon récit, j’aimerais beaucoup te développer ma rencontre avec Sœur Galin qui va avoir un impact sur la suite de ma carrière. Je dirais même qu’elle a été un peu le fil conducteur du lien particulier que j’entretienS encore aujourd’hui avec la communauté chrétienne et la conversation.
J’ai connu cette Sœur du couvent par le directeur des renseignements généraux de la police à Caen, Monsieur Bon. Il me rendait visite pour vérifier que tout était sous contrôle, car ,apparemment, il y avait une menace qui pesait sur ma personne. Très vite, le suspect en question avait été écarté.
Un jour, Monsieur Bon me demandait si je voulais bien rencontrer une Bonne Sœur. Toi qui connais bien tous les aspects de ma personnalité , tu sais que je suis quelqu’un d’ouvert à tous les courants. Je lui avais donc répondu que j’acceptais de la recevoir.
Quelques jours après ,Sœur Marie-Paule de la Croix, allias sœur Galin, m’avait rendu visite à la maison pour un premier contact.
Le Premier signe d’une potentielle amitié, fut son geste avant de rentrer à la maison. Elle qui portait une croix assez conséquente autour du cou en permanence, par respect pour ta mère et moi, elle L ‘ avait glissée à l’intérieur de sa robe. Après quelques échanges, elle me fit part de l’objet de sa visite. Elle me proposait de créer une association qui se nommerait « amitié judéo-chrétienne ». Dans toutes les grandes villes de France, cette initiative existait déjà dans le but de rapprocher les juifs et les chrétiens. C’est une manière d’effacer le comportement honteux qu’avaient eu les chrétiens pendant la seconde guerre mondiale.
La chose qui m’avait le plus frappeE chez elle et qui a été une véritable inspiration ,c’était l’amour qu’elle portait à son prochain.
J’acceptais volontiers son projet en prenant en compte que je serais le seul participant, côté juif ,car les gens de ma communauté n’étaient pas prêts.
De ce fait, je m’étais rendu tous les mois dans un couvent de la ville de Lisieux.
À chaque fois, j’étais accueilli par des chants, des psaumes bibliques. Je ne te cache pas que dès que je les entendais chanter, je n’arrêtais pas de me demander ce que je faisais là ! Cependant je devais honorer ma promesse d’amitié que j’avais faite à sœur Galin et m’étais promis de jouer le jeu.
Ce fut justement lors de ma première conférence que Sœur Galin m’avait présenté à la Famille Levy (voir chapitre précédent) et aux Sœurs Bénédictines dont j’ignorais alors même l’existence.
Qui étaient ces femmes cloitrées dans un couvent ? En discutant avec elles, de manière tout à fait par hasard, je m’étais rendu compte, que l’une des bénédictines était juive ! Ce fut le choc ! Trouver dans cet endroit reculé, une sœur d’origine juive, de père et de mère qui pendant la Shoa s’était convertie au christianisme!Pour me prouver ses dires, elle m’avait montré un livre en hébreu. Par la même occasion, et profitant de ma présence, elle souhaitait que je lui désigne les prières en hébreu. Elle qui n’avait pas tout à fait oublie son origine, elle souhaitait les réciter des deux manières.
Pour être honnête, cela m’a demandé beaucoup d’efforts pour savoir quoi répondre aux questions tantôt pointues, tantôt provocantes, à cette branche très fermée du catholicisme. Et étant donné qu’elles étaient cloitrées, elles ne pouvaient pas communiquer avec l’extérieur. Je représentais en quelque sort ce monde auquel elles n’avaient pas accès.
Imagine-toi que je dialoguais avec elles à travers une grille, sans un mot prononcé à voix haute. Le dialogue se faisait uniquement par écrit. Pendant des années, nous avons tissé SOEUR GALIN et moi une amitié forte et solide,conjuguée à une admiration reciproque et ce, jusqu’à la mort de Sœur Galin. Elle est partie à l’âge de cent ans.
Au début les réunions que nous avons organisées, étaient ouvertes à toutes les sœurs qui souhaitaient y participer. Au fur et à mesure une sélection a dû être établie car il y avait d’un côté, les sœurs sympathisantes du Rabbin, et de l’autre les-anti. Preuve que tout n’était pas rose, non plus.
De plus, à la suite de l’un de nos rassemblements, sœur Galin avait retrouvé le mot juif placardé sur sa porte. Certaines n’hésitez pas à aller jusqu’à la nommer la juive ! Elle a même été rappelée à l’ordre par l’Évêque de Bailleux. Il lui avait demandé d’arrêter de défendre les juifs et Israël avec autant de passion, car c’est ce qu’elle faisait chaque fois qu’elle le pouvait , cela faisaNT désordre, (sans mauvais jeux de mots).
VuE de l’extérieur, cette sincère amitié pouvait paraitre étrange voire improbable, surtout, en ayant connaissance de mon parcourS. Notre collaboration fut un drôle et touchant Kiddouch Hahsem/sanctification du nom divin. Car vois-tu ma fille, l’une des choses importantes dans la vie, c’est aussi de donner une image du juif qui n’est pas replié sur lui-même, et surtout qui n’a pas peur de l’autre.
Même si Sœur Galin n’admettait pas la conversion au judaïsme,CONSIDÉRANT cette décision comme une trahison, cela ne nous a jamais empêché d’éprouver un profond respect mutuel.
Sœur Galin a reçu la médaille du mérite national pour l’ensemble de SES ACTEs.Lors du fameux voyage à Auschwitz avec nous, elle avait été l’une des premières à demander pardon de manière officielle. Ce n’est qu’ensuite que le pape l’a fait publiquement. C’était une avant-gardiste dans l’âme !
Mon expérience en Normandie m’a permis d’avoir accès à ce GEnRE de personnes, toutes religions confondues. En restant à Paris, je n’aurais jamais pu m’intéresser à eux et acquérir cette ouverture d’esprit. À cette époque, ma naïveté chronique me poussait à croire réellement en l’autre, chrétien ou pas. Ce qui m’a beaucoup aidé pendant toute la durée de mon travail au sein du service des conversions.
À ce propos, cela me rappelle une anecdote effrayante qui va te prouver à quel point une partie de moi était naïf. Dans le cadre de mes fonctions, tu sais que je suis aussi aumônier:Dans un endroit dit laïc, je représente le culte religieux. C’est pour cette raison, que lors d’un congrès des aumôniers catholiques qui se déroulait à la Rochelle, on m’y a envoyé , en tant qu’aumônier juif israélite. Je m’y étais rendu avec un autre rabbin d’origine Meckanssie. Lui, contrairement à moi, ne connaissait rien au catholicisme. Une fois sur place, nous, nous étions retrouvés en compagnie de plus de cent quatre-vingt curés. Notre mission était de faire acte de présence, sans émettre la moindre opinion sur leurs travaux. À la pause déjeuner, nous avions mangé nos repas Cacher, seuls dans notre coin.
À leur retour, la plupart des curés avaient bien arrosé d’alcool leurs repas. Les autres, incités par le vin, s’étaient mis à nous prendre par l’épaule de manière très amicale. L’un des aumôniers catholiques, le plus éméché de tous, avec un physique très imposant commença sa phrase par :
–Votre ancêtre a compris où était la vérité ! Vous savez ,dans le fond ,que c’est nous qui avons raison. Je suis certain que vous ferez de bonScuréSde paroisse. Allez, c’est réglé, je m’occupe de tout. Nous allons vous convertir dès aujourd’hui !
Avec mon collègue, nous ne savions pas si nous devions rire ou nous inquiéter de la suite suite des évènements. L’idée de nous sauver nous avait même traverser l’esprit, parce que je t’assure que deux Rabbins face à cent quatre-vingt curés, ils auraient pu largement nous faire ce qu’ils voulaient.
Heureusement pour nous, un autre aumônier catholique avait vu la scène de loin. Avant que la situation ne dégénère pour de bon, il a eu la bienveillance d’intervenir avec cette phrase :
–Monsieur, mon Frère l’évêque veut les voir. Je vais devoir vous les emprunter. Ne vous inquiétez pas, je vous les ramène juste après.
Il nous avait pris à part et nous avait donné le conseil de partir, en nous assurant qu’il expliquerait à l’évêque notre départ anticipe . C’est ainsi que nous avons été sauvés d’une agression, doublé d’un potentiel kidnapping !
Dès notre retour, nous avions fait un rapport à notre hiérarchie mais celle-ci avait préféré enterrer l’incident.
Un autre point qui va te prouver que ton père aimait bien vivre dangereusement:
Chaque fois que j’allais rendre visite à des détenus, j’avais toujours la phobie d’être pris en otage ou de rester enferme avec eux. Comme j’avais accès aux cellules des prisonniers, j’avais toujours cette peur qu’on m’oublie et que la situation se transforme en drame. Je me souviens encore cette sensation étrange que je ressentais lorsque je traversais la cour de la prison. Il y avait à peine vingt mètres à parcourir mais je craignais que l’un d’eux décide de me tuer. C’était l’un des risques du métier. Même si j’avais peur, il fallait que les choses soient faites. C’était mon devoir.
Heureusement que j’avais l’insouciance de ma jeunesse parce que quand je replonge dans mes souvenirs, parfois je me dis que j’étais fou !
En revanche, le dernier détenu que je suis parti visiter m’a beaucoup marqué. C’était un monsieur dont j’ignore toujours la raison de sa condamnation. Je ne me suis jamais permis de le lui demander. Il avait 74 ans et depuis 1989 il était enfermé en prison. Il avait refusé la libération car entre temps, il avait perdu tous les membres de sa famille. Il avait fait le terrible choix de mourir en prison, seul. C’était un homme qui pratiquait beaucoup la Kabbale. Il se prenait pour un prophète et chaque année il prédisait la fin du monde et que les murs de la prison allaient tomber. Il pensait même qu’il allait finir par sortir par la grande porte et qu’il y aurait des murailles comme à Jéricho. Hormis son côté marginal, ce qui m’a beaucoup marqué, c’est qu’il n’avait plus aucun espoir sur la vie.
Ce qui était troublant et dangereux, c’était lorsque tu commençais à dialoguer avec lui, tu oubliais totalement que tu étais en prison. J’avais souvent l’impression de m’entretenir avec le sage du milieu carcéral. Il avait le rôle du patriarche. Il conseillait tout le monde et était le porte-parole des détenus.
La deuxième personne qui reste gravé dans ma mémoire c’est Monsieur Romano. Il était un prisonnier très rieur, et très sympathique. Il était doté d’une force physique exceptionelle car il faisait du sport toute la journée. Il avait une passion particulière, qui était de fabriquer des objets tout en allumettes. Tu dois probablement te souvenir de l’une de ses créations qui trônait sur l’une des étagères de notre grand buffet marron du salon.
Pour me remercier de mes visites et du temps que je lui accordé, il m’avait offert un bateau en allumettes.Un jour, où je voulais me rendre dans sa cellule, on m’annonce que Monsieur Romano n’était pas présent. Il avait obtenu une permission. Le souci c’est qu’il n’est jamais revenu car il avait kidnappé une princesse. Je ne te raconte pas le choc que j’ai eu quand j’ai découvert sa photo placardée partout. Je n’ai jamais su, s’il avait été rattrapé ou non.
Ça c’était pour la partie aumônier des prisons .maintenant laisse-moi te raconter quel est le rôle d’un aumônier des hôpitaux. Son premier travail est de remonter le moral des malades et du personnel hospitalier.
Malheureusement ,à l’heure actuelle, l’aumônier se cantonne à une intervention calquée sur celle des catholiques :Venir et réciter des Téhilim/des psaumes, après la mort ou juste avant.
Ce qui est assez dommage parce que l’on pourrait apporter bien plus aux malades. Mais comme tout le monde est très superstitieux, assez influencé par la culture judéo-chrétienne, dès l’instant que l’on voit apparaitre un représentant d’une religionon l’associe automatiquement à l’ange de la mort.
En province par exemple, ce n’était pas exceptionnel de demander à l’aumônier israélite de rendre visite à des personnes non-israélites (généralement des protestants )
Cela me rappelle, celle fois, où l’on m’avait demandé de prendre la parole AU sujet des « us et coutumes de fin de vie » dans le judaïsme. Je devais parler devant une centaine d’infirmières. Elles avaient toutes cette même question bien précise :
–Que se passe-t-il après la mort ?
Pour l’occasion, j’avais ramené avec moi un linceul. Dans la tradition juive, il faut savoir qu’il y a huit vêtements à mettre à la personne décédée avant de l’enterrer.A L IMAGE DU grand prête dans le temple. aINSI,tout être qui décède est comparable au Cohen Gadol/au grand prêtre dans le Temple.
Ce sont les devoirs que l’on a envers l’autre qui se nomme « la toilette du défunt ». Ce qui est en partie le travail de la Hevra Kadicha.
Afin de démontrer que ce n’est pas une « toilette » matérielle mais « une toilette » au sens spirituelle, on procède à l’ablution du corps avant de le remettre en terre.
Le message était tellement bien passé qu’une des infirmières m’avait demandé, si je pouvais lui offrir le linceul. Elle m’avait confié que sa dernière volonté était d’être enterrée avec. Ce qui était une demande assez particulière mais très touchante dans la mesure où elle n’était pas juive.
À Caen, justement, il y avait Monsieur Aouzi qui était un confectionneur d’habits. Tous les jours, il était sur le point de déclarer faillite tant il était perfectionniste et ne savait pas trop gérer son affaire.
À une période, nous n’avions plus aucun linceul dans notre stock. Je lui avais demandé, s’il pouvait nous en confectionner quelqueS uns. Il m’avait répondu qu’entre deux et quatre heures du matin, il allait pouvoir honorer ma commande. Faute de moyens, il ne pouvait se permettre d’engager des employés, c’était le seul créneau horaire dont il disposait. Donc, le voilà, qui me fabriquait une vingtaine de linceul à des horaires ahurissants.
D’habitude, c’est une confection pas forcément minutieuse étant donné l’usage mais par sa Emouna/sa foi incroyable, Monsieur Aouzi était déterminé à donner « un vêtement » luxueux à chaque défunt. N’est-ce pas un Tsadik qui accomplit son travail dans le seul but de sanctifier le nom Divin et de rendre un dernier hommage à des personnes dont il ne pourra jamais recevoir un merci.
Il allait jusqu’à repasser les linceuls. J’irais presque jusqu’à te dire que cela donne envie dans le cas où on mourrait (jusqu’à 120 ans, en bonne santé) d’être enterre avec ces habits.
Cela me rappelle que j’aurais dû en mettre un de côté !
Au prochain chapitre, je commencerai enfin à t’expliquer la façon dont je suis entré aux services des conversions. Tu vas voir que j’ai atterri là-bas de manière tout à fait par hasard.