Chapitre 1 / 4
Bevy
Je le déteste ! Non, je le hais ! Je suis arrivée à un stade ou même sa façon de respirer m’insupporte ! Je ne sais pas si le confinement a amplifié ses défauts ou s’il a toujours été comme ça, mais là je suis à bout ! Si seulement il pouvait mourir ! Je l’aurais bien tué de mes mains mais mon petit gabarit ne m’aidera pas sur ce coup là ! La solution parfaite serait qu’il crève d’un accident de voiture. Non seulement, je serai débarrassée de son odeur, de ses humeurs aussi variables que le temps, de son épouvantable caractère, et de ses blagues à trois mille tonnes mais en plus, je serais veuve ! Une jeune veuve de 34 ans. Pour l’enterrement je me vêtirai d’une robe noire à la Audrey Hepburn. La réplique de celle qu’elle portait dans Diamant sur canapé. Pendant toute la durée du service funèbre, très digne, je garderai ma voilette sur le nez pour feindre des pleurs de chagrin. Pour compléter cette image tragique, j’encouragerai notre ainé, Théodore à faire un salut militaire devant le cercueil de son père même si Sylvain n’a jamais eu un quelconque rapport avec l’armée vu qu’il est expert-comptable. À la fin du service, un mystérieux beau brun se présentera à moi pour me présenter ses sincères condoléances. Il se penchera pour me prodiguer des mots à la fois tendres et réconfortants m’assurant d’une voix de velours qu’il comprenait parfaitement ma peine puisque lui aussi était veuf ! Papa, de deux adorables petits, il était resté jusqu’à la fin aux côtés de sa femme, (feu Pénélope). De manière totalement dévoué, il l’avait accompagné jusqu’à sa dernière demeure et après le départ de sa bien-aimée il avait mis des mois à s’en remettre. Juste avant de mourir, cette brave femme lui avait donné son entière bénédiction pour qu’il se remarie. Moi, émue par sa bonté (et sa beauté !) tenant fermement la main de ma fille Frany, je m’entendrai accepter de boire un café de temps en temps avec lui « au cas où j’aurais besoin de parler ». Lui, ensorcelé par mes bras nus (qu’on a souvent qualifié de toniques ! C’est pas rien ça !), souhaitera me revoir au plus vite. Quelques semaines réglementaires plus tard, nous formerons déjà une magnifique famille recomposée. On s’aimera comme des dingues. Nous parcourons le monde sur son yacht. Je ne toucherai plus jamais un balai de toilettes, ni un balai tout court car nous séjournerons la plupart du temps à l’hôtel. Nous serons un mois à la Barbade, un mois aux Bermudes, un mois aux….
–Bevy ! Qu’est-ce tu fous ? Ça fait trois plombes que t’es aux chiottes ! Sors de là, j’ai une réunion avec le boss et un client dans trois minutes par zoom. La petite veut une pomme. Frany veut qu’on la lui enlève la peau et qu’on la lui coupe en quartier. T’es capable de faire ça, oui ! Alors sors !
–Voilà, voilà, je viens !
Bevy ferma d’un coup sec l’armoire à pharmacie dans lequel elle s’était laissée aller à la rêverie ! Juste avant de sortir de la salle de bain, hargneuse elle marmonna :
-À tous les coups, ce saleté crèvera en hiver rien que pour m’empêcher de mettre une robe sans manche. Bah oui avec un cardigan noir, mon look travaillé ne donnera pas pareille !
-Qu’est ce tu dis ? Je t’entends pas. SORS ! La petite attend sa pomme. Elle est au salon ! Je te signale qu’elle est encore devant Netflix ! Je ne souhaite pas qu’elle reste une minute de plus devant un écran ! Je compte sur toi pour jouer avec elle en lui proposant une activité créative !
-Ben voyons…
Dès qu’elle émargea de « sa salle de refuge » Sylvain lui avait enfin lâcher la grappe. Pour ne pas être tentée de regarder sur Google en tapant “comment se procurer du poison”, elle préféra dresser la liste de toutes les choses qu’elle ferait après cette quarantaine ! En priorité, elle prendrait un petit déj de débriefe avec ses meilleures amies de toujours Francine et Adèle. Ensuite, elle foncerait directement chez le coiffeur pour faire ses racines. Ensuite, elle ira se faire une mani-pédie chez Charlotte. Elle devait d’ailleurs vérifier dans son agenda combien de sessions de laser il lui restait avant de venir à bout de sa traque aux poils. Depuis quatre semaines le rasoir de son mari, posé en équilibre sur le rebord du lavabo lui avait fait un appel de pied ! De toute façon sans mauvais jeux de mots, elle trouvait Sylvain si rasoir que rien que de partager cet objet intime la révulsait.
En descendant les escaliers qui menaient au salon, cette parisienne, mère au foyer fonça droit vers la cuisine. Sur l’un des plans de travail trônait la corbeille de fruit. Elle prit une pomme et telle la préposée chef de la famille, section cuisine, (Bevy pensait plutôt que le terme esclave était plus approprié au vu de sa condition du moment !), elle prit un épluche agrume et décharna la pomme de sa peau. D’un geste vif, elle la coupa en tranche en oubliant de couper le tronçon, laissant ainsi des pépins. Sur une petite coupelle, elle installa le fruit pour aller le déposer sur l’accoudoir du canapé. Là où sa fille de neuf ans n’avait pas bougé depuis le matin. Celle-ci « oublia » de dire merci à sa mère, mais daigna toutefois déplacer ses yeux de l’écran vers la coupelle. Tout à coup, Frany fronça les sourcils et émit son jugement suprême :
–Maman ! Tu as encore laissé les pépins. JE N’AIME PAS QUAND Y A DES PÉPINS !
Tout en menant sa conversation animée avec son patron, plus connu dans sa sphère privée par le délicat surnom « le chieur suprême », Sylvain prit attention aux plaintes de sa fille. Tel un sauveur silencieux qui devait corrigeait les méfaits de sa femme ou du moins ses actes loupés, sans rien dire, il fonça droit vers la petite assiette pour aller jeter « l’immonde » pomme aux pépins ! Toujours en menant bravement sa conversation professionnelle, il choisit une autre pomme, non sans avant la passer sous l’eau pour ensuite la dénuder de sa peau et dextérité, il la coupa en prenant soin de le faire tout autour du tronçon. Heureusement que Sylvain était là pour répondre au bonheur de sa petite fille. Tout en s’égosillant la voix à travers le micro de son casque, il posa délicatement l’assiette 10 fois trop grande pour la quantité de fruit et la posa directement sur les genoux de Frany de manière à ce que celle-ci ne quitte pas ses yeux de l’écran hypnotisant ! Sur ce, il repartit derrière son bureau non sans jeter avant, un regard exaspéré vers sa femme qui signifiait qu’elle n’était même pas capable de couper une simple pomme !
En assistant à cette scène familiale, comme elle en avait assisté auparavant à plus de 22 000 mille fois depuis la naissance de sa seconde progéniture (appelé plus récemment « le projet à nourrir constamment » !). Las, elle repartait vers une autre tâche ménagère même si elle savait que pour sa famille, elle ne serait pas à la hauteur de leur exigence.
En faisant trainer le panier de linge qui débordait d’affaires à plier, elle se demandait une fois de plus, où était bien passée cette une brillante graphiste qui travaillait autrefois chez Publicis ! Dans la foulée de ses pensées, elle ne comprenait pas où s’était planquée ? Plantée même ! Son foutu tempérament de feu d’antan ! Elle qui avait bâti sa carrière la dessus ! Bevy Robinson qui d’un simple regard faisait trembler son équipe composée de 12 personnes dont deux petits arrogants fraîchement sortis d’HEC. Elle avait pris un malin plaisir à mâter ces deux-là en les réduisant presque en miette pendant les réunions afin de leur apprendre l’humilité qui incombe parfois le monde professionnel. En arrivant au bureau, elle s’amusait même à faire claquer ses talons sur le parquet pour prévenir de sa présence en espérant semer la terreur sur son passage. Elle soupçonnait même son N+2 de la craindre à sa manière de l’éviter chaque fois qu’il le pouvait ! À la naissance de Théodore, elle avait su gérer d’une main de fer son emploi du temps de femme active et celui de jeune maman. Elle forçait même l’admiration de ses collègues pour être revenue à peine après deux semaines de congé de maternité. Puis, avec Sylvain, du temps où ils ne formaient qu’un, ils avaient voulu rapidement mettre en route un deuxième. Hélas, avant de tomber enceinte de Frany, Bevy avait subi plusieurs fausses couches qui avaient peu à peu anéanties son estime pour elle-même, un peu plus à chaque perte… Alors avec son mari, épuisés de ses multiples déceptions, il fallait qu’elle élimine toute forme de stress « juste le temps d’avoir cet autre enfant » qu’avait assuré son mari ! Tiraillée jusqu’à la dernière minute entre le désir de poursuivre sa prometteuse carrière et de mettre toutes les chances de son côté pour donner un jour ou l’autre un petit frère ou une petite sœur à son ainé, quelques semaines plus tard, d’une main tremblante Bevy avait remis sa lettre démission à son DRH. Pour feindre l’enthousiasme de sa décision auprès de ses collègues, elle s’était collée aux lèvres un sourire totalement factice. Son N+2 s’était précipité pour lui souhaiter bonne chance, non sans un soulagement, qu’elle avait perçu dans sa voix. À la fin de sa dernière journée, sur le départ, elle avait traversé le couloir avec sa tasse à café, et son pot de fleur sur les bras en saluant une dernière fois les membres de son équipe. En retour, elle reçut que de vagues hochements de tête. Juste avant de pendre l’ascenseur la croyant hors portée, elle intercepta des bribes de phrases : « Bon débarras ! Je pouvais plus la blairer ! On va enfin respirer ! Sortez le champagne la sorcière est partie ! ». Manque de bol pour ses anciens collègues, Bevy s’était souvenue d’un détail qui lui avait échappé. Lorsque son cousin de Boston, avait appris qu’elle travaillait tard le soir, il lui avait fait livrer au bureau une arme insoupçonnée : une batte de baseball de l’équipe des Red Sox. Il avait joint une carte « Pour te défendre en cas de besoin ». Elle avait souri, trouvé l’idée ridicule. Pour le fun elle l’avait tenue quelques secondes, pour ensuite la ranger dans son armoire à dossiers. Se rappelant de ce détail, elle avait brusquement posé ses affaires au sol et était partie chercher son arme. La maintenant bien en main, sans crier gare, elle était rentrée en trombe dans l’un des bureaux d’où avait émané les critiques sur sa personne. Tel un démon qui avait pris possession de son corps, elle s’était mise à fracasser tout ce qui était sur son passage. De l’ordi, au clavier, en passant par les piles de dossier, elle avait tout saccagé avant de partir. Sous le regard craintif et terrorisé de ses collègues, personne n’avait osé bronché, ni même appelé la sécurité. Une fois qu’elle s’était bien défoulée, en remettant une mèche de cheveux collait à son front par la sueur, elle avait souhaité « une bonne continuation » à la ronde pour s’enfuir à toutes jambes.
Et tandis qu’elle se remémorait son pétage de plomb professionnel tout en pliant les slips de son mari, elle maugréait entre ses dents :
–Quel dommage d’avoir dû me débarrasser de ma batte de baseball…
Francine
De sa voix caverneuse, Francine appelait l’ainé de ses fils, Mickaël. Elle le suppliait de lui ramener au plus vite un seau pour qu’elle puisse vomir à son aise. Mieux valait s’épargner la galère de laver les draps dès que son état le lui permettrait. Depuis deux jours, elle souffrait d’une de ses crises de maladie périodique, plus connue sous le nom de FMF en anglais. Quand cela lui arrivait, elle avait l’impression qu’une tentacule géante malfaisante s’était infiltrée dans son ventre (et parfois son esprit) et s’était donnée comme bute de la faire souffrir le plus possible sur un minimum de temps. Ses quatre garçons habituaient depuis leur naissance à ce que leur maman soit « off » pendant quelques jours par mois, avaient pris le pli de s’occuper d’elle et de se débrouiller tout seuls le temps qu’elle sort de cet enfer. C’était dans ces moments épisodiques et hélas récurants qu’elle regrettait le plus la présence d’Alain, son ex-mari.
Par chance, il arrivait que ses crises ne refassent pas surface pendant quelques semaines ce qui lui permettait de continuer d’assurer ses deux jobs et sa vie de maman. À la fois historienne, spécialiste de l’époque de la Renaissance, elle enseignait deux fois par semaine à l’université. Tous les jeudi et vendredi, elle était guide au château de Versailles. Francine était habitée par son travail. En véritable passionnée de cette partie de l’histoire de France, parfois elle se demandait si elle n’était pas la réincarnation d’une duchesse qui vivait à la cours de Versailles. Elle était si callée sur le sujet qu’on faisait souvent appel à elle pour qu’elle vérifie des manuels scolaire avant impression. D’ailleurs, en plein chaos marital, comme exutoire elle avait entamé l’écriture d’un essai sur Louis XIV et son frère. Plus tard, il avait été publié et salué par les critiques du milieu. Cette humble prouesse lui avait value d’être repérée par le très célèbre METS de New York. Huit mois avant, le musée l’avait invitée à participer à l’installation de quelques meubles du Château de Versailles qui avaient été prêtés au musée pour une durée limitée.
Sentant une vague de spasmes intestinaux qui lui faisait souvent penser à ses propres accouchements mais sans l’option péridural, Francine crispait son visage de douleur. Parfois, elle se demandaient si ses crises étaient une bénédiction ou une malédiction. D’un côté, la clouer au lit pendant trois jours à souffrir le martyr, lui permettait de garder bien les pieds sur terre au cas l’envie de s’envoler plus que haut que son derrière se faisait sentir. Encore plus, depuis quelques temps où il n’y avait que du positif à signaler aux frontières de sa vie. Après un divorce tumultueux avec le père de ses enfants, elle avait démarré une romance avec un médecin qu’elle avait justement rencontré lors de son passage à New York. Invitée chez des amis, le couple lui avait présenté le Docteur Robert (prononcé Roobertte !).
Au cours de ce diner, elle avait appris que cet apollon sur patte, aux tempes légèrement grisonnantes et aux cils étrangement longs, s’était converti au judaïsme cinq ans auparavant par amour pour la religion juive. En attendant cette information, elle avait levé le sourcil en l’air et lui avait demandé si avec son métier, il n’était pas trop difficile de concillier la pratique de la Torah et la chirurgie. Il avait bu une gorgée de vin avant de répondre une phrase du talmud :
–Qui est le sot ? Celui qui croit maitriser le monde ! Je suis d’abord juif et après médecin. Et vous ?
–Moi ? Je suis d’abord et avant tout maman, et historienne ! Si je devais me rajouter deux qualificatifs je rajouterais sioniste dans l’âme et juive de Kippour.
Robert avait l’air amusé par son french accent et sa manière de lui dire qui elle était sans chichis.
–Vous savez la pratique de la religion et moi, ça fait quinze !
–Et pourquoi ne pas commencer par être deux ?
–Comment ça ?
–Demain soir c’est Chabbat. Je vous invite à le passer chez moi pour une immersion complète.
Son fort accent américain, la puissance de ses mains, son regard chaleureux et son aisance naturelle avaient joué en sa faveur (elle était cuite, oui !) Francine n’avait pas fait la fine bouche et avait tout de suite accepté l’invitation. Elle qui était d’un physique qu’elle qualifiait de banal, il était assez incompréhensible qu’un homme tel que lui, s’interresse à une femme comme elle. Nullement traumatisée par les hommes, et plus particulièrement par Alain, le lendemain, elle avait tapé à sa porte. En plus d’avoir vécu 25 heures déconnectés de tous et de tout, elle avait eu pour bonus d’être entourée des bras puissants de ce bel homme qui mesurait pas loin de deux mètres de haut. Depuis, ils vivaient une histoire à distance qui marchait du tonnerre. Depuis, Dr Robert venait la voir à peu près toutes les trois semaines. Elle se souvenait avec allégresse du jour où elle l’avait présentée à ses meilleurs amies Bevy et Adèle. Non sans un plaisir divin, Francine les avait observés et cela se voyait qu’elles étaient totalement conquise par le nouvel homme de sa vie.
Mickael était apparu une bassine à la main et s’était assis près du lit, un gant humide à la main pour éponger le front brulant de sa mère. Elle commençait vaguement à délirer dû la température interne de son corps qui frisait les 41 ! Après s’être légèrement évanouie, elle revenait à elle en fixant son fils d’un regard vitreux. En regardant son ainé prendre autant soin d’elle, il lui faisait drôlement rappeler son ex-mari. Lorsqu’elle était encore Madame Solal, le point positif de cette vie de couple qui avait duré dix-huit ans, c’est qu’Alain savait exactememt comment prendre soin d’elle quand elle était au plus mal. Jamais il ne l’avait jugée ou moqué de ses délires sévères lors de ses terribles poussées de fièvre dont elle était prise. Priver de sa dignité, jusqu’à parfois bavé sur son coussin, à vomir, ou à ne pouvoir aller aux toilettes toute seule, jamais Alain n’avait éprouvé le moindre dégout pour elle. Au contraire, à chacune crise qu’ils avaient traversé, il la rassurer en lui disant qu’il l’aimait d’avantage et qu’elle ne lui inspirait que force et courage. Le temps de sa convalécence, il prenait charge les enfants et la maison de A à Z. Oui, Alain avait été un très bon mari jusqu’à ce qui lui broie le cœur…
L’année dernière, elle avait été dans la même position et n’avait pas quittée le lit pendant trois semaines mais non pas parce qu’elle était malade mais parce qu’elle était dévastée par la douleur d’avoir été trahie. Son mari avait eu « une simple amourette » avec une autre qu’il avait rencontré dans un restau. Véritable rousse, elle avait toujours pensé que sa chevelure aux reflets de feu, suffirait à repousser la concurrence. En affichant cette couleur incandécente, elle avait toujours cru avoir immunisé son mari contre le charme des brunes et des blondes. Elle s’était foutrement trompée puisqu’il l’avait trompé avec une châtain…
Au début, elle avait pensé pouvoir pardonner cette « erreur » mais elle réalisa bien vite que c’était au-dessus de ses forces. C’était soit envisagé un divorce, soit se mettre au plus vite aux antidépresseurs et les prendre à vie. Cette situation de ne pas savoir quoi faire, avait fait ressortir le pire de sa personnalité. Constement suspicieuse, à piquer des véritables crises de nerfs, épuisée par elle-même, elle avait fini par annoncer à Alain qu’elle préférait qu’ils se séparent. L’air de la maison était devenu trop irrespirable pour tous ses membres. Lui avait été contre ! Il lui avait juré avoir commis un seul petit écart. Il l’aimait plus que tout, et se baterrait pour leur couple. Alain avait avancé l’argument ultime de « penser aux enfants, et de ne pas se montrer égoïste en leur imposant un divorce ». Francine aurait aimé ne pas ressentir ce qu’elle avait au creux du coeur chaque fois qu’elle le voyait. Sauf que c’était au-dessus de ses forces. Une fois qu’il avait accepté sa décision, lui et elle s’étaient mis d’accord pour l’annoncer aux enfants lors de leur « moovie night ». Ils avaient opté pour Madame Doughtefire, en espérant que les enfants comprendraient par eux même, grâce à la morale du film : « Parfois, il vaut mieux se séparer avant de haïr la personne que l’on a aimé. Il arrive qu’une une famille soit plus heureuse quand les parents ne sont plus ensembles. »Au lieu de ça, leurs enfants avaient trouvé les mimiques de Robbie William totalement ringardes et le costume de la nounou ridicule. Alain leur avait demandé de regarder jusqu’au bout mais ils avaient décliné l’offre. Alexandre, le second de la famille, avait balancé sans aucune émotion dans la voix « Si c’est pour nous annoncer que papa va retourner vivre chez Mami et Papi, on a discuté entre nous et c’est mieux comme ça parce que Papa t’es un sale con d’avoir fait ça à maman !
–Surveilles ton langage gamin !
–J’ai pas de remarques à recevoir d’un type qui a trompé sa femme pendant huit mois !
Francine étourdie d’entendre les mots « 8 mois », avait porté sa main à sa bouche…
–8 mois ?
–Quoi ? Tu ne lui as pas dit papa ?
Complètement paniqué par la bombe que son fils venait de lâcher Alain s’était mis en mode autodéfence. Il lui avait fait juré de ne rien dire :
–Qu’est-ce que ça peut faire maintenant ? De toute façon, ta mère a déjà entamé la procédure de divorce !
Incapable de parler, Francine avait la sensation qu’une épée brulante lui avait transpercé le cœur. Elle s’était éfondrée sur le canapé. À travers ses doigts qui cachait ses larmes, elle répétait encore et encore :
–Tu m’avais dit que ça c’était passe qu’une seule fois.
Lâche, Alain avait regardé Alexandre pour lui demander s’il était content d’avoir mis sa mère dans un tel état.
–Par qu’en plus ça va être de ma faute maintenant ! Maman devait connaitre la vérité ! T’as plus qu’à assumer maintenant !
–Sale petit….
Francine ne l’avait pas laissé finir sa phrase car elle s’était ruée sur son mari en hurlant :
–8 mois sale bâtard ! 8 MOIS !!!!
Ne faisant rien pour arrêter sa mère, Alexandre avait demandé à ses frères d’aller enfiler leurs chaussures et proposait qu’ils déguerpissent manger une glace.
–Je sens que ça va être Game of thrones dans le salon. Tirons nous les gars !
Oubliant la présence de ses fils, Francine avait ôté l’épée de sa gorge et souhaitait la planter dans le cœur de son mari. Se jetant sur le serviteur de cheminée, elle avait pris la pince à bucher et avait poursuivi Alain dans toute la maison avec la menace de l’embrocher avec ! Elle répetait inlassablement : « 8 MOIS BATARD ! 8 mois ! Je vais te tuer » jusqu’à ce que son mari prenne la fuite, sans lui laisser le temps de mettre ses chaussures. Le lendemain, les voisins s’étaient même plaints du bruit. Francine s’était plains tout court….
En s’essuyant la bouche d’un revers de la main, Francine relevait sa tête d’au-dessus de la bassine pour aller s’écrouler de soulagement sur sa couche. Elle savait qu’après avoir rendu ses derniers repas, la maladie allait lui laisser quelques minutes de répit… Et ce fut très délicatement que son ex-mari qui entre temps avait pris la place de son fils, avait remis la couverture sur elle.
À la minute où il avait su par la bouche de leur dernier, Ilan, que Francise était malade, il avait accouru à son chevet et avait prit le relais, libérant ainsi Michael. Trop faible pour s’en rendre compte Francine qui croyait parler à son fils lui avait soufflé un merci. Avant de tomber dans un profond sommeil réparateur elle avait murmuré :
–Je t’aime mon ange. Je t’aimerai toute ma vie. Merci juste d’être là.
Même si Alain savait que ces mots ne lui étaient plus adressés depuis longtemps, il avait souri et avait ajouté :
–Moi aussi ma chérie je t’aimerai toute ma vie. Ne t’en fais pas je suis là. Jusqu’à la fin du confinement je ne bouge pas d’ici. Dans ta face sale américain de mes deux …
Adèle
Lorsque huit ans auparavant, Adèle Levy avait annoncé à ses parents qu’elle comptait épouser son petit ami scientifique, elle a bien cru qu’ils allaient lui clamser dans les doigts. Son père fragile du cœur, dépendant depuis longtemps d’un pacemaker, avait d’abord cru à une blague :
–Tu n’es pas sérieuse ?
–Si très sérieuse. J’ai 33 ans et il est grand temps que je me marie.
–Allons ma fille, rien ne presse. Je ne t’ai pas élevé comme toutes ses mères qui attendent avec impatience que leur fille leur fasse des petits-enfants ! Tu ne peux pas épouser ce garçon.
–Pourquoi ?
–Pourquoi ? C’est une plaisanterie ? avait rétorqué sa mère qui essayait de contenir sa colère qui ne faisait que gronder en elle.
–Je l’aime et c’est tout ce qui compte.
Ce qu’Adèle avait oublié de dévoiler à ses parents, c’est qu’elle était déjà mariée et cela depuis quatre semaines. Elle savait dès le départ qu’en les mettant devant le fait d’accomplis, ils n’auraient pas d’autre choix que d’accepter ses noces. Adèle, la première n’aurait jamais pensé qu’un jour elle épouserait un non-juif ! Sauf que la vie est une belle saleté qui s’amuse à planter des sentiments incontrôlables dans le coeur des gens ! Depuis la première seconde où elle avait mis le pied dans son lieu de travail elle l’avait repérée ! Comme les cinq autres femelles avant elle, qui bossaient au labo ! Elle avait été éblouie par son regard bleu azur totalement électrisant même s’il était camouflé derrière des lunettes désuets. Le bleu des pupilles de son nouvel employeur était si bleu qu’elle n’arrivait pas à détacher son regard de lui. C’était magnétique ! Quand elle avait été à la machine à café et qu’il l’y avait rejoint pour lui offrir un déca en guise de cadeau de bienvenue dans l’équipe, elle avait rougi comme une gamine ! Au moment où il avait passé les pièces dans la fente de la machine, elle savait qu’elle était mordue ou plutôt fichue ! Elle avait été immédiatement amoureuse de lui. En retournant à sa place, elle savait qu’elle allait droit vers des problèmes.
En enfilant ses lunettes transparentes pour s’attaquer à l’analyse de cette nouvelle bactérie, elle avait pensé à son collègue jusqu’au déjeuner. Accompagnée de sa nouvelle insistante pour aller se chercher à manger, celle-ci lui avait fait remarquer à Adèle qu’il était rare que Dr Sax se montre aussi chaleureux avec une nouvelle arrivée. D’habitude il ne sortait jamais de son bureau. En cinq ans de labo, c’était la première fois qu’elle assistait à ça ! Adèle était aux anges mais s’était abstenue de commentaires tant elle en était flattée. Adélaïde s’était sentie obligée de rajouter :
–Il est clair que si un jour vous vous mettez ensemble, ce serait un comble ! Quoi qu’une belle revanche sur l’histoire.
Depuis cet instant, pas un jour n’était passé sans qu’elle regrette « l’une des plus belles histoires d’amour de tous les temps » comme qualifiait ses amies de sa relation merveilleuse. Elle filait le parfait amour avec l’homme de ses rêves qu’elle avait attendu toute sa vie. Il était gentil, prévenant, patient, intelligent et incroyablement doux. Elle était chaque jour un peu plus amoureuse de lui. Parfois elle craignait qu’avec le temps, son mari se lasse d’elle surtout qu’il l’avait connu avec une taille 36 et qu’aujourd’hui elle était passée à un bon 46. Si elle se fiait à l’intensité de leur ébats conjugaux aucun de ses changements physiques (liés à sa déloyale gourmandise) n’avaient eu d’impact sur la passion dévorante qui les animaient. De cet amour si exquis en était sorti deux beaux enfants et bientôt un troisième viendrait compléter leur bonheur. Elle avait encore le test de grossesse tout chaud d’entre ses mains. Elle était si heureuse qu’elle sentait les larmes lui bruler les yeux.
Lorsqu’elle avait fini par avouer à ses parents qu’il était temps qu’ils rencontrent son mari, hormis le fait de s’être mis à dos la moitié de sa famille en se mariant de cette manière, elle savait qu’elle avait pris le risque qu’ils ne lui adressent plus la parole pendant un bout de temps. Jamais il ne tolérait un goy parmi les leurs et encore moins avec un prénom pareil :
–C’est inacceptable pour nous !
–Mais rencontrer-le au moins avant de le juger ! Vous allez l’adorer. Il est bas. Il attend mon aval pour monter.
–Je suis désolé c’est au-dessus de mes forces. Je refuse ! Dis-lui de partir !
–Ma chérie, tu peux comprendre qu’avec notre histoire c’est impossible qu’on l’accepte.
–Bon sang, ce n’est qu’un fichue prénom ! Rien de plus !
Elle avait eu beau argumenté que ses beaux-parents avaient nommé leur fils Adolphe, en hommage à l’arrière arrière-arrière-arrière-grand-père, qui n’était autre l’inventeur du saxophone, ses parents se moquaient des explications qu’elle avançait. Ils s’étaient montrés plus que ferme sur le sujet ! Après moult discussions houleuses, Monsieur et Madame Levy avaient accepté de recevoir leur gendre mais non sans une très précise condition non négociable.
Adolphe Sax avait accepté de changer de prénom pour sa belle-famille ! Sans émettre aucune objection il avait accepté ce « petit effort » identitaire pour sa belle juive. Après avoir surmonté l’épouvantable administration belge et française, le chimiste se faisait appeler désormais Adolpho. Adolpho Sax. Après tout, un mariage fonctionnait lorsque les concessions étaient accomplies des deux côtés. Les années ont passé et cette histoire de prénom était passé aux oubliettes.
Ne pouvant vivre l’un sans l’autre, lorsque Adolpho avait reçu une proposition de boulot dans une prestigieuse boite pharmaceutique, pour le couple Sax, il avait été très difficile de se faire à l’idée qu’ils ne travailleraient plus au même endroit. Sachant son mari brillant dans son domaine, Adèle s’était préparée depuis longtemps à cette éventualité. Ce serait du pur gâchis de limiter son génie à un petit laboratoire de Paris. En compensation d’être séparée pendant la journée, grâce à un contrat à plusieurs chiffres signé dû à son nouvel l’emploi, le couple Sax avait pu s’acheter un cent quatre-vingt mètres carrés en plein 18e arrondissement avec vu sur le sacré cœur. Depuis Monsieur Sax avait des journées de dingue. Et tandis que lui était devenu un homme très occupé avec une belle carrière en perspective, Adèle se languissait de son mari.
En ce début du confinement, dû à un virus ultra contagieux, le monde entier avait l’interdiction de sortir, empêchant les gens de travailler. Seuls certains métiers demeuraient malgré tout. Chaque matin, elle avait ressenti un léger pincement au cœur quand elle voyait son homme munis d’un masque et des gants en latex, continuait d’aller travailler tous les jours. Pendant qu’elle était seule à gérer Eloïse et Isabella, lui travaillait d’arrache-pied pour venir en aide à tous les gens qui en avaient besoin.
Juste après avoir refermé le bouchon de son test, elle le posa sur le rebord de la baignoire le temps de se laver les mains. Elle était si heureuse d’être de nouveau enceinte qu’elle allait avoir du mal à attendre jusqu’au soir pour l’annoncer à son mari. En sortant des toilettes, elle alla dans la chambre de ses filles pour les réveiller car elles avaient bientôt école via l’application Zoom. Elle trouvait ce système épuisant car elle devait en permanence surveiller que les filles se connectent bien à leur cours et s’appliquent à la faramineuse quantité de devoirs que les enseignants leur avaient donné. Soudain, elle eut besoin d’entendre la voix de son mari, se promettant de rien révéler de la grande nouvelle. Adèle appela sur son portable et tomba sur sa messagerie. Déçue, elle envoya un Whatsapp lui demandant de la rappeler quand il avait le temps.
En fin d’après-midi, n’ayant toujours pas de nouvelles, elle décida d’appeler sur la ligne du travail. Elle réalisa que depuis un an qu’il bossait las bas, c’était la première fois qu’elle appelait ce numéro. En patientant, elle ne souvenait plus du temps où elle avait cessé d’apprendre les numéros de téléphone par cœur. Au bout de deux sonneries elle entendait la voix neutre de la standardiste :
–Laboratoire Schmidt and Wagner, j’écoute ?
–Bonjour, c’est Madame Sax, je souhaiterai parler au Docteur Sax s’il vous plait.
–Madame Sax, veuillez patientez s’il vous plait, je vous mets en relation avec le docteur. Redites-moi son nom s’il vous plait ?
–Docteur Sax. Je suis sa femme.
–Hum… Excusez-moi mais je n’ai personne à ce nom-là dans mon fichier. Vous pouvez m’épelez le nom complet s’il vous plait ?
Agacée, Adèle s’exécutait :
–S.A.X. Vous devez être nouvelle car cela fait un moment que mon mari travaille dans vos locaux. Lisez mieux votre liste.
Gênée, la standardiste couva sa main sur le combiné et lui demanda encore de patienter. En entendant un bip qui indiquait un double appel dont le numéro était inconnu, Adèle raccrocha au nez de cette idiote d’employée qui n’arrivait même pas à retenir les noms.
–Allo ?
–Allo, Madame Sax ?
–Oui.
–Ici les laboratoires Schmidt and Wagner, veuillez excuser ma collègue, je vous passe votre mari.
–Oui merci.
Elle patienta une poignée de seconde avant d’attendre la voix de son homme.
–Adèle, mon amour tout va bien ?
–Oui mon cœur, j’ai essayé de te joindre sur ton portable mais tu ne répondais pas alors je me suis inquiétée.
–J’ai oublié de le charger. Je n’ai pas arrêté depuis ce matin parce que….
Adolpho fut interrompu par une forte quinte de toux. Il mit quelques secondes à reprendre le fil de sa respiration.
–Tu es sûre que ça va ?
–Oui, ne t’en fais pas, rien qu’une mauvaise toux.
– Par les temps qui courent, tu sais que ce n’est pas une réponse.
–Tu voulais me dire quelque chose ?
–Au final, rien de spécial. À ce soir et si tu n’es pas bien, tu rentres tout de suite.
–Mais oui ne t’en fais pas. À tout à l’heure.
En raccrochant, Adèle était inquiète pour son mari, puis dans un deuxième temps pour elle et son bébé. Et si Adolpho était contagieux comment allaient- ils faire ? Elle voulut rappeler son mari mais elle se ravisa, préférant appeler quelqu’un de neutre qui aura un avis franc sur la question. Elle savait qu’il était 9h du matin à New York alors elle tenta de joindre le nouveau copain de Francine : Dr Robert. Après une sonnerie, il décrocha. Adèle lui exposa rapidement la situation, le mettant au courant de sa grossesse. Il la félicita et lui conseilla de mettre Monsieur Sax dans une pièce à part de la maison, par précaution. Elle raccrocha soulagée et se dit que même si son mari avait attrapé le virus, tout irait bien. Elle était prête à affronter cette situation… Ce à quoi elle n’était pas préparée, c’était la mort imminente de son mari….