Bevy
Bevy avait attendu de se calmer pour appeler son amie et lui exprimer ses sincères condoléances. Au petit matin, malgré la douleur et la tristesse qui lui avaient créé un trou dans le cœur, sur pilote automatique elle avait réussi à préparer le petit déjeuner de ses enfants. Contrairement à la vielle ou elle avait été rongée de colère contre Sylvain, c’était grâce à son soutien qu’à son tour, elle avait pu consoler Frany et Théodore. Depuis longtemps, Bevy pensait que son couple était fini. La nuit précédente, lui avait prouvé le contraire. Elle avait pris conscience qu’elle et Sylvain avaient été dans une sorte de coma conjugal. Se contentant de respirer de manière artificielle à l’aide de sept files invisibles que formaient les lettres du mot MARIAGE. En gardant l’espoir illusoire que tout allait s’arranger tout en restant bien tranquille dans leur train-train quotidien, maintenant leur souffle jusqu’à la prochaine explosion.
Après avoir raccroché avec Adèle, elle s’était réellement mise à la place, en imaginant la perte de son époux. Ce fut là, à cet instant précis, à la mort d’Adolpho qu’elle comprit qu’elle avait tout simplement abandonné son mari. Elle ne se battait plus pour eux. Se contentant de subir les innombrables électrochocs que Sylvain lui avait envoyé pour qu’elle se réveille. Enfin sortie de sa léthargie, Bevy s’était promis de tout faire pour arranger les choses dans son couple.
En serrant ses enfants tout contre elle, elle savait qu’eux aussi, ils avaient perdu un membre de leur famille amicale. Cette famille aussi solide que n’importe quelle famille liée par le sang, construite au fur et à mesure d’années. Et pourtant au départ, le pari n’était pas gagné ! Avec Alain, son frère, la question ne s’était même pas posé. Fou amoureux de Francine depuis ses 16 ans, il s’était lancé dans un régime drastique pour perdre ses vingt kilos de trop afin d’avoir assez de courage pour déclarer sa flamme à celle qu’il allait devenir sa femme. Cet abrutit n’avait pas compris que même avec son surpoids, sa meilleure amie l’aimait tel qu’il était. D’ailleurs, lorsqu’elle et Adèle avaient appris de la bouche de Francine qu’il l’avait trompé avec une autre, ce fut un choc pour tout le monde, tant c’était incompréhensible vu qu’il s’était toujours montré terriblement amoureux de sa femme. Lorsqu’elle-même avait présenté Sylvain à ses copines, celles-ci n’avaient pas sauté au plafond. Elles n’étaient pas fan du petit côté arrogant de fils à papa. Mais étant donné que j’étais folle amoureuse de lui, Francine et Adèle avaient fini par l’accepter et l’apprécier au fil des années. Quand à Adolpho, les choses avaient été un peu plus compliquées….
Sylvain se souvint de sa première rencontre avec Adolpho. Comme le reste de leur équipe, il avait eu bien du mal à s’y faire au nouvel arrivant. Dès la seconde, il y a huit ans, où ils avaient été présentés, il ne l’avait pas aimé. Pas aimé du tout ! Avec le recul il pouvait même affirmer qu’il l’avait détesté. Ce type l’avait tout de suite mis mal à l’aise, sans pouvoir l’expliquer ! Pendant longtemps, il s’était demandé pourquoi une femme aussi charmante qu’Adèle avait fini avec un type pareil ! Bien sûr, si on mettait de côté le regard azur et la carrure de boxer professionnel du bonhomme. Même lui, qui n’a jamais été attiré par les mecs (pas son truc !), les premiers temps, il avait été troublé par la couleur de ses yeux. Très vite, la couleur topaze des pupilles d’Adolpho était passée au second plan à cause de sa manière de prendre constamment les gens de haut. Il avait aussi cette façon bien à lui, de faire bien comprendre à lui et à Alain, qu’il tolérait à peine leur présence. On pouvait lire sur son front, qu’il aurait aimé se trouver n’importe où, mais pourvu qu’il soit loin d’eux ! Avec Solal, question critique, ils n’avaient pas été avec le dos de la cuillère sur son compte. Sax leur sortait tellement par les yeux qu’à plusieurs reprises, ils s’étaient donnés à cœur joie en crachant sur lui dès qu’ils le pouvaient ! C’était uniquement pour leurs épouses, qu’ils s’étaient montrés amicaux envers lui « sinon, cela fait bien longtemps, que le scientifique se serait pris un pain dans la tronche ! Crois-moi ! » avait confié Sylvain plusieurs fois à Bevy une fois seuls. Et puis, Adèle l’avait épousé. Ensuite, plus rien ! Une vraie traversée du désert ou l’ami Adolpho ne fit même plus l’effort de participer à leur groupe. Non pas, que cela les avait dérangés. Sa Grâce leur fasse grâce de sa présence et c’était tant mieux. Même si au fond, sans avoir besoin de le formuler à voix haute, Sylvain avait été vexé d’avoir été si peu pris en considération.
Ensuite, il y eut la naissance de la petite Eloïse. Personne n’avait vraiment compris comment la naissance de la première fille du couple, avait eu autant d’impact sur le père. Le bonhomme s’était transformé. Bien sûr, il n’était pas devenu du jour au lendemain le joyeux luron de la bande, mais Adolpho était réapparu dans leur cercle d’amis. Il avait même déployé d’incroyables efforts pour méritait une seconde chance. On sentait qu’en devenant père, un grand changement s’était opéré en lui. Lui et Alain pouvaient même affirmer qu’avec le temps, Adolpho Sax était devenu beaucoup plus que le simple mari d’Adèle…
Lorsque la vielle, il avait tenté de consoler sa femme, il n’avait pas pu s’empêcher lui aussi, de verser des larmes sincères. C’était une immense perte pour tous ceux qui avaient fait l’effort de connaitre Adolpho. Il n’aurait pas dû mourir de ce foutu virus. D’ailleurs, personne ne le devait ! Lorsque vers les 3h00 du matin, Bevy s’était endormie, il avait été voir ses enfants dans leur chambre pour s’assurer que tout allait bien. Il avait été surpris et fière à la fois, de découvrir Théodore dormir à même le sol près du lit de Frany, lui donnant la main. Son fils avait tenu son rôle de grand frère. Cette nuit-là, entre deux sanglots, lui et sa femme, avaient beaucoup parlé. Pas seulement d’Adolpho. Un peu honteux, il savait que le décès avait créé une opportunité de se racheter auprès de Bevy. Il ne pouvait nier, que ces derniers mois, il s’était montré odieux avec elle. D’ailleurs, ça l’avait surpris qu’elle mette autant de temps à réagir face à son épouvantable attitude. Depuis longtemps, il savait que sa femme ne le regardait plus comme avant ! Comme à leur début ! Elle s’était au fur et à mesure désintéresser de lui. Au lieu de se battre pour elle, il avait laissé s’installer la rancœur, cédant la place à l’amertume entre eux. Finalement le confinement avait révélé les failles de leur couple, puisqu’il n’y avait plus d’échappatoire possible. En réalisant que la mort pouvait frapper n’importe qui, à n’importe quel moment, Sylvain avait serré encore plus fort dans ses bras Bevy, et se jura de la reconquérir. Il allait profiter de cet enferment obligatoire à la maison pour réparer ses erreurs même si l’heure était au deuil…
SYLVAIN
Lorsque Sylvain avait entendu, Bevy appelait Adèle, il avait entendu qu’au moins Adolpho n’avait pas souffert. Il était mort dans son sommeil. Bevy lui avait demandé des informations concernant la levée du corps et l’enterrement qui devait avoir lieu sous peu. De là où il se trouvait, il avait entendu les protestations d’Adèle avec l’interdiction formelle qu’elle vienne chez elle ou au cimetière car elle-même et ses filles étaient porteuses du virus. Elle refusait qu’elle prenne le risque d’être contaminée à son tour.
–Je mettrai l’office par Zoom. Tu pourras te connecter. C’est déjà mieux que rien. Avait conclu Adèle de sa voix sans vie.
Sylvain sentait toute la frustration que ressentait sa femme. Il savait qu’il allait avoir du mal à l’apaiser. Avant de la rejoindre au salon, d’un revers de la main, il prit le temps d’essuyer ses propres larmes, et dans un murmure il glissa entre ses dents : « Au revoir mon pote. Tu vas tous beaucoup me manquer. Je t’aimais Sax, je t’aimais ».
Francine
Lorsque Francine avait appris un peu plus tard que les autres, le décès d’Adolpho, elle s’était ruée sur son IPad pour entrer en contact vidéo avec Adèle. Ce fut seulement dans l’après-midi qu’Alain l’avait mise au courant. Dès qu’elle s’était réveillée, un peu désorientée par la nuit qu’elle venait de passer en compagnie de son ex-mari, elle avait tâtonné vers sa table de chevet pour attraper son portable mais en vain. Son portable était introuvable. Elle trouvait bizarre que le petit objet ne soit plus là ou elle l’avait posé la vielle. Se sentant suffisamment remise pour sortir du lit, elle posa ses pieds au sol et alla rejoindre ses fils au salon. Découvrant leur mère en meilleure forme, tous s’étaient précipités vers elle pour lui dire combien ils étaient heureux qu’elle aille mieux. Comme à chaque fois Francine se dit qu’elle était Bénite du ciel d’avoir des enfants aussi merveilleux. Bienheureuse, elle se dirigea vers la cuisine pour se servir un petit déjeuner tardif. Elle demanda à la ronde si quelqu’un avait vu son Iphone. C’est là qu’elle vit Alain, son portable à elle, collé à son oreille, la mine grave. Après avoir raccroché, avec beaucoup de douceur, Alain Solal l’avait mise au courant. En découvrant Adèle par Facetime, pensant la découvrir dévorer par le chagrin, Francine avait été surprise de la sentir si calme. Vêtue de noir de la tête aux pieds, elle portait déjà le deuil de son mari, alors qu’il n’était même pas encore enterré. Bien sûr elle avait les traits tirés mais bizarrement elle n’avait pas les yeux gonflés par les pleurs. Contrairement à Bevy qu’elle avait eu en ligne juste après. Cette première entrée en manière était la preuve qu’Adèle n’était pas (encore) effondrée :
–Ma Francine ! C’est quoi cette tête ? La vache, cette crise ne t’a pas épargnée dis donc ! Foutu maladie. Comment tu te sens ?
–C’est une blague j’espère ! C’est plutôt à toi qu’il faut demander. Comment toi, tu te sens ?
–Je ne sais pas. Je suis comme anesthésiée par le choc. Je ne ressens rien. Je n’arrive pas à me dire qu’il n’est plus là. Je fais comme s’il était encore endormi, pensant qu’il va bientôt se réveiller. Tu crois que je suis normale ?
–Bien sûr que tu es normale. Tu sais quand Philippe D’Orléans est mort, Louis IV a mis quelques jours avant de demander au peuple de…
–Ah non pitié ! Pendant toute la durée des Shiva, je demande l’immunité historique ! Plus de référence à l’histoire française.
–Mais oui, pardon, pardon, que je suis gourde. Je croyais que tu adorais ça. Je me disais que cela te changerait les idées.
–Oui, j’adore ça, en temps normal, en prenant en compte un grand paramètre que je t’aime mais là tout de suite ça me gave.
–Pardon ma chérie, je suis maladroite. Je suis vraiment désolée. Je m’e…
–Non mais ça va ! Tu vas te flageoler, non plus. Je sais qu’on ne sait jamais quoi dire à une personne qui vient de perdre quelqu’un. Trouver les mots justes n’est pas évident. Toi tu as juste utilisé tes mots.
Un silence pesant s’installa entres elles. Pour le rompre, Francine demanda si elle pouvait faire quelque chose dans l’immédiat.
–N’importe quoi, je le ferais.
–N’importe quoi ? Alors c’est d’accord. Je veux tout savoir.
–À propos ?
–D’Alain qui est chez toi et qui a passé la nuit à tes côtés.
Décontenancée, qu’Adèle ne désire pas plus parler d’Adolpho, Francine se mit à lui confier sa nuit étrange. Ne lui épargnant aucun détail. Au bout de quelques minutes, elle comprit qu’Adèle ne l’écoutait absolument pas. C’était comme si elle n’était pas là. En raccrochant, elle monta dans sa chambre et s’asseyant sur son lit pour réfléchir. Elle détestait le fait de ne pas être réellement dévastée par la mort d’Adolpho ou plutôt de celui qui se faisait passer pour lui… Elle chassa ce détail et décida de rappeler Docteur Robert qui lui avait laissé une bonne dizaine de textos. Le dernier avait été envoyé dix minutes plus tôt, lui indiquant qu’il était sur Paris. Plus précisément installé au café en face de chez elle. Aussitôt elle l’appela. À la première sonnerie, il décrocha.
–Hi, honey.
–Hi. Ça c’est une belle surprise. Tu ne devais pas venir la semaine prochaine ?
–Avec le virus, il est fort possible que les aéroports ferment et que l’on ne puisse plus voler pendant un moment. C’est pour ça que je me suis dit qu’il valait mieux qu’on se voit maintenant. We need to talk.
Francine, interdite savait ce que cette phrase sous-entendait. Docteur Robert voulait rompre avec elle. Aux vues des derniers évènements, elle ne savait pas si c’était une bonne ou une mauvaise nouvelle.
–Je peux venir chez toi ?
–Je crois que je suis suffisamment en forme pour venir te rejoindre.
–Tu es sûr parce que ce que j’ai à te dire va prendre du temps.
De plus en plus curieuse, Francine promit d’être là dans moins de dix minutes… Elle n’avait aucune idée de ce que le Docteur Robert s’apprêtait à lui dévoiler. Elle ne l’aurait pas pu étant donné que tout ce qu’il s’apprêtait à lui dire dépassait l’entendement.
Adèle
En raccrochant avec l’adorable mais si naïve Francine, Adèle se décida d’appeler ses parents. C’était leur réaction qu’elle redoutait le plus. Âgés et fragiles, ils ne feront qu’accroitre son angoisse et sa tristesse. Pour se donner du courage, elle se regarda dans le miroir de l’entrée. Les traits tirés, les cheveux attachés de manière aussi strictes que son tailleur noir, Adèle ne savait pas comment elle allait continuer à vivre ou même respirer sans son époux. Ce n’était pas possible que cela puisse lui arriver à elle… à eux « Pourquoi D. ? POURQUOI ? POURQUOI TU M’AS FAIT ÇA ? » avait-elle hurlé très fort en elle-même sans qu’aucun son ne puisse sortir de sa bouche. Le plus terrifiant c’est qu’elle n’avait pas verser une larme. Rien. Aucune. Elle qui d’habitude se laisser aller facilement, elle ne comprenait pas sa réaction. Sur cette réflexion, elle alla dans la chambre de ses filles pour vérifier qu’elles dormaient encore. Une fois rassurée d’avoir encore du temps avant de leur annoncer le décès de leur père, elle alla se faire un café. Elle prit une tasse, et une capsule pour ensuite aller l’insérer dans la fente de sa machine. En regardant, le breuvage coulait, un souvenir qui datait de l’année précédente refit surface dans son esprit. C’était à l’époque où Francine avait découvert que son mari l’avait trompée avec une autre. Elle l’avait appelé en pleurs lui avouant qu’elle suspectait Alain depuis un moment. Entendre les confessions de son amie, lui avait mal. Elle avait toujours beaucoup aimé Alain. Elle avait assisté avec passion à la naissance de leur couple et se sentait un peu responsable du couple Solal. Ils ont toujours représenté pour elle l’équilibre marital parfait. Adèle était très affectée par cette trahison. Le jour où elle l’avait su, avec Bevy, elles s’étaient ruées chez Francine pour soutenir leur amie. Après des litres de café mélangés à un soupçon d’alcool, laissant l’historienne dévastée, Adèle avait quitté le duplex se promettant de découvrir l’identité de l’amante. Pour Francine, hormis le sentiment de trahison suprême qu’elle avait ressenti, le plus frustrant avait été de ne pas savoir qui était cette femme. Elle qui n’avait jamais joué au détective de sa vie, en avait tout simplement en engagé un, sans rien dire à personne.
Monsieur Steal ne mit pas longtemps à lui faire un rapport complet. Lui et sa partenaire Laura, avaient besoin de moins de huit jours pour avoir un nom. Pour le lui dévoiler, ils lui avaient donné rendez-vous dans un lobby d’hôtel dans le 14e arrondissement de Paris. Pas loin de leur agence. Dossier complet en main avec photo à l’appui, Monsieur Steal était nerveux. Avant de rencontrer leur cliente, Laura l’avait rassurée en lui disant qu’il n’était pas obligé de tout révéler à leur cliente. Il pouvait très bien contenter de divulguer l’info qu’elle leur avait demandé et s’en arrêtait là.
–Si j’agissais ainsi, la réputation de notre travail ne serait pas ce qu’elle est aujourd’hui. C’est-à-dire excellente ! Tu sais que nous sommes les meilleurs pour cette raison. Nous devons le lui dire !
Laura avait avalé une gorgée de cappuccino. Elle savait que son partenaire agirait en son âme et conscience même si cela pouvait coûter le mariage de leur cliente. Lorsqu’Adèle avait ouvert le dossier et avait regardé les clichés, elle avait mis quelques secondes à s’en remettre.
–Alors c’est elle ! Aussi simple que ça.
–Aussi simple que ça. Je crois savoir qu’elle est la sœur de l’une de vos meilleures amies, n’est-ce pas ?
–Oui. C’est Kelly. L’une des sœurs jumelles de Bevy, mon amie d’enfance. D’aussi loin que je la connaisse ça a toujours été une trainée même si je pensais qu’elle avait gardé quelques principes. À croire qu’elle a changé…
–Si je peux me permettre Madame Sax. Si vous voulez que votre amie se remette avec son mari, garder cette information pour vous.
Septique, Adèle avait regardé Laura et lui avait demandé la raison de ce conseil.
–On pardonne plus facilement quand la trahison reste floue. À partir du moment, où on détient un nom, une image, les choses deviennent réelles et il n’y a très peu de chance d’un retour en arrière.
–Vous me dites, que parfois mieux vaut ne pas connaitre toute la vérité pour pardonner.
–C’est précisément ce que j’affirme.
Adèle avait levé la tête et avait demandé si leur entretien était fini ?
Laura regarda Monsieur Steal. Le détective avait sa main posée sur un dossier. Il sourit à sa cliente, lui affirmant que leur entretien était terminé. Adèle n’a jamais révélé à ses deux meilleures amies ce qu’elle avait appris ce jour-là. Pour l’intérêt des personnes qu’elle aimait.
En touchant son collier de perles, Adèle repensa à ce pan de sa vie, avant de boire une gorgé de son café, elle regarde vers la chambre ou son mari le corps sans vie était encore étendu et déclara pour elle-même :
–Je te pardonne mon amour, je te pardonne.
Docteur Moore
Lorsque le Docteur Robert était venu rejoindre Francine au restaurant afin qu’il soit présenté à ses amis, il sentit qu’il était sur la bonne voie. Cette petite bonne femme était tout simplement exquise ! C’était la surprise de sa mission. Au cours de son travail, il en avait passé beaucoup de temps à se faire passer pour « le parfait petit ami ». Américain, docteur, et son histoire de conversion au judaïsme/christianisme/l’islam, à chaque fois, elles tombaient toutes dans ses bras. Bien sûr, son histoire n’était pas tout à fait fausse mais pas tout à fait vrai non plus. C’était la manière dont il racontait son histoire qu’il orientait sa cible à croire à ce qu’il racontait. C’était un professionnel qui maîtrisait l’art d’avoir des personnalités multiples. Plusieurs fois, il avait dû prendre des petites pilules pour l’aider à se fondre dans le lit de ses conquêtes car certaines ne l’attiraient point du tout. Avec Francine, il n’en avait pas eu besoin.
En pénétrant dans cette brasserie très parisienne, il alla droit vers le petit groupe. Il n’avait pas eu besoin de demander à ce qu’on l’accompagne à sa table car sans les avoir rencontrés une seule fois, il connaissait par cœur les visages et les prénoms des participants de cette soirée « de présentations officielles ». À peine la jolie française avait fondu sur lui, le gratifiant d’un chaste bisou sur les lèvres, qu’il avait senti un regard plein d’hostilités, émanant de l’ex-mari jaloux. La sœur de Bevy avait été parfaite dans son rôle. Cette petite arriviste vénale à souhait n’avait pas fait sa fine bouche pour séduire le mari de la meilleure amie de sa sœur. Dommage que sa mission ait coûté un divorce. C’était un dommage collatéral mais nécessaire. Cela ne signifiait rien quand on connaissait l’enjeux de la mission qui lui avait été confiée.
En s’asseyant en face du couple cible, il avait joué son rôle à la perfection ! Il avait commandé la bouteille de vin la plus cher de la carte et avait tout de suite demandé l’avis du scientifique.
L’air ailleurs, sa target était revenue à lui, et avait formulé qu’il ne buvait pas car il était responsable pour ramener Sylvain et Bevy. Dr Moore, ou plutôt le Dr Hänsel Himler avait été impressionné par le travail qui avait été fait sur celui qui était assis en face de lui. Il y n’y avait aucune trace de son accent. À tel point que cela en était fascinant ! Il avait fallu des heures et des heures d’orthophoniste pour qu’Adolphe Sax, ou plutôt Moshé Bensaquen parvient à gommer son accent d’origine. Il était là pour découvrir qui avait financé la couverture parfaite de celui qui devait mourir. Pourtant le Dr Himler n’était pas un criminel. Son travail avait toujours été de sauver des vies. Jamais il n’avait trahi le serment d’Hippocrate. C’est pour cela que c’était l’une des six personnes présentes ce soir-là, qui devait le faire à sa place. Cette soirée au restaurant était idéale pour choisir celui qui accomplirait ce grand geste pour sauver le monde d’une des personnes les plus dangereuses de la planète. Durant une bonne partie de la soirée le Docteur Himler avait ri aux blagues des uns et des autres, avait mangé, bu, discuté, charmé mais surtout analysé. Aux desserts, il avait récolté assez d’informations pour son rapport. Il y avait juste un fait troublant qui l’empêcher de pouvoir se faire une opinion claire. Lui, qui avait lu dans le dossier psychologique de Sax/Bensaquen, qui le dépeigner comme une personne froide, ayant le même profil psychologique qu’un psychopathe et qu’un serial killer, il ne comprenait pas pourquoi au cours de la soirée, par deux fois, Sax avait attrapé la main de sa femme. Celle-ci en retour lui avait souri tendrement. Les deux fois, c’était elle qui avait rompu le contact. Ce qui voulait dire qu’Adolph Sax éprouvait de réels sentiments pour son épouse. Il ne jouait pas la comédie. Ce qui faussait complètement ce pourquoi il avait été envoyé, dans ce restaurant, entouré de potentiels meurtriers. Avant de pouvoir en designer un, il devait s’assurer que lui, le petit fils d’un des plus terribles nazis du Troisième Reich, convertis au judaïsme ne faisait pas fausse route….