Quand tu vis des matins pourris…

On était en milieu de semaine et jusque-là, tout était sous contrôle. Lundi et mardi matin, aucun incident diplomatique à déclarer à la douane des matins difficiles. Mercredi, je me lève avec l’envie de prendre ma savate gauche à la main pour l’envoyer sur le premier qui me dira un mot de travers (ou pas !). Oui, la Mimine était de mauvais poil. La nuit avait été chaotique. Cela faisait cinq jours que Fifille 2 avait la Grippe. La vraie, celle qui rend le malade très irritable et par extension, la personne qui s’en occupe : la mère, dans 90 % des familles. Sauf dans mon cas. Quand l’un de nos enfants est malade, chez nous, il y a deux mères : leur père et moi. Dès que l’un de nos bambins déclare à voix haute qu’il a mal à la gorge/nez/pied/cuisse, le RDM devient très angoissé. Comparé à lui, la mère juive que je suis peut aller se rhabiller en Chanel (RIP Karl Lagerfeld.), tant il se sent investi d’une mission. Objectif : me rendre folle, mais pourvu que nos enfants n’aient plus rien. Durant les jours où je serai de garde, j’aurai droit à 12 appels et 54 WhatsApp avec cette même question palpitante : Comment elle va ? ou avec cette variante : Comment va-t-elle ?
Ce matin-là était le grand retour de Fifille 2 sur les bancs de l’école. Eh oui, petite, tu n’as plus de fièvre, go back to school, sinon on va bientôt nous retrouver emmurées quelque part (pour ma part, ce sera les murs des toilettes. Seul endroit où j’ai encore toute mon indépendance de mouvements).
Avant de réveiller la maisonnée, je consulte mes mails, et découvre toute angoissée, que le Rav de l’école me signale que mon fils n’a pas mis son Talit Katan depuis 3 jours. Il menace de l’exclure s’il se pointe sans aujourd’hui. Je déclare à voix haute que cela ne fait pas 3 jours mais 3 ans qu’il ne le porte plus. Lorsque je réveille mon grand, je lui explique le topo. D’une voix endormie, il arrive à s’insurger et m’explique son charabia du pourquoi il refuse de le porter. Avec beaucoup de psychologie, qui allait avec mon humeur du jour, je lui réponds :
– Je m’en tape que les fils te gênent ! Tu le mets et c’est tout. Y a un règlement, on le suit. Point.
Et je pars sans relever le marmonnage-imitation du ton de ma personne car je dois préparer Fifille 1 & 2 que j’entends se disputer. Après avoir joué le gendarme de Saint-Tropez et supervisé leurs tenues, j’entends qu’une autre bagarre verbale éclate entre mon mari et mon fils dans le salon. J’accours au pas de course, et découvre que mon grand regarde son portable alors qu’on a formellement interdit télé/écran/and Co (le matin). Façon homme de Cro-Magnon, le mari lui arrache le tel des mains. Notre fils se rebelle et hurle :
– HEEEEEEÉ JE REGARDAIS JUSTE UN TRUC ! VOUS ÊTES RELOUX !
Je calme l’histoire en préparant en vitesse des pancakes. Dans la foulée, j’annonce à mes filles qu’après l’école, elles ont une activité scolaire (Art). Une est folle de joie, et l’autre s’effondre en pleurs en criant à son tour : « JE VEUX PAS ART ! ». Pendant dix vraies minutes, à coup (et à court) d’arguments, je peine à calmer Fifille 2 qui accepte l’activité en s’enfonçant un pancake dans la bouche. Fiouff !

Comme il fait -14 (sacré mois de février new yorkais !), je hèle un taxi. On monte façon troupeau de moutons à l’arrière, et une fois qu’on est tous bien installés, le chauffeur nous regarde et nous dit qu’on est quatre, que ça va pas être possible. Redescends. Insulte-le (dans ta tête). Re-hélage de taxi. On remonte. On repart, et on arrive avec seulement quelques minutes de retard. Tant pis pour l’hymne américain et la Tikva. Oui, tous les matins les enfants chantent les deux dans le gymnase. Apparemment, ça leur apprend à être patriotique et sioniste (The patriot, j’ai adoré ce film). Tout ça pour la modique somme de : deux reins s’il vous plait.
Fifille 1 qui adoooore l’école (c’est du côté de son père, pas du mien, il n’y a AUCUN doute là-dessus !), se rue dans les étages pour rejoindre sa classe sans même me dire au revoir. Tant mieux ! Et on a Fifille 2…WAAAAALYA !
Et voilà, plus de 15 ans à essayer de gommer mon accent bellevillois, et en une situation, certaines expressions tunisiennes acquises lors de mon passage éclair à Otzar HaTorah de Belleville renaissent de leurs cendres !
Fifille 2 me demande de l’accompagner jusqu’en haut. On arrive devant sa classe. Je lui dis : Allez au revoir. Et euh… non. C’est parti pour le traditionnel aggripage matinal. Ses petites mains chopent ma jupe, mon haut, mon sac, ma perruque. Je rattrape mes faux cheveux d’un coup sec, tout en essayant de la consoler. Je lui assure que, oui je comprends son appréhension de retourner à l’école, et lui promets que tout va bien se passer : « Allez, tu es forte. J’ai confiance en toi. Tu peux y arriver ». J’ai l’impression d’être dans la peau du gars qui encourage Rocky sur le ring. Mais rien à faire. Fifille 2 est dans tous ses états. Sa prof, rebaptisée par mes soins Miss Deux de tension, passe devant nous. Elle me voit galérer mais s’en fout ! Heureusement que Miss dynamique, prof de Kodesh lui propose de faire un truc spécial avec elle. Celle qui n’a pas oublié d’être maligne, me fait promettre de venir la chercher à 3h00 pétante afin qu’elle ne fasse pas… Art. Vaincue, je lui jure sur la tête de sa mère que je serais là.
Je sors de cette séquence épuisée, comme si un avion était passé au-dessus de ma tête pour y déverser toutes les émotions de la famille : la peur, la colère, l’angoisse, le manque de confiance, la frustration, et j’en passe.
Au lieu de rentrer directement à la maison (je peux plus.) je me dirige vers le Starbucks d’à côté. Je commande un café (écœurant). Pour moi, le Starbucks, c’est comme les clopes, à chaque fois je me dis : demain, j’arrête. Je m’écroule sur une chaise. Pour décompresser, je prends mon portable pour lire mes messages du jour :
– Bonjour, je suis de passage à ny, est ce que tu sais où je peux acheter de la nourriture pour chat Cacher. Dois-je aller à Brooklyn ?
– Salut, est ce que je peux te demander de commander ma poussette et je te rembourse ? Je viendrai la chercher pour mes prochaines vacances à NY en mai. Au fait, je m’appelle Blatusse de la famille Blata. Tu connais sûrement ma famille. On est nombreux, mais il faut pas hésiter à nous dire non.
Je soupire et me dis que je répondrai dès que je pourrai car pour l’heure, j’avais besoin d’un sas de récupération. D’un coup, je sens de nouveau mon portable vibrer, et les quatre mots que je vais lire vont me faire vibrer de bonheur : « Junes, ça y est… ». Comme si D. m’avait envoyé un petit clin d’œil dans cette couscoussière émotionnelle dans laquelle j’étais.
Je la rappelle dans la foulée pour m’entendre crier :
– Je peux pas croire.
– Eh oui. Après 16 ans de mariage, c’est enfin arrivé.
Je ne suis plus dans ce Star-beurk, mais propulsée dans un épisode de Bip in the city, quand Charlotte annonce à Carry qu’elle est enfin enceinte et qu’elle lui explique :
– Quand on dit qu’il ne faut plus y penser, c’est vrai… il fallait juste être patiente !
Je raccroche le cœur léger, en me disant que la seule chose qui m’avait manqué ce matin était cet ingrédient magique que l’on nomme la patience… Parce qu’en vrai, il ne s’agit que d’une heure condensée où l’on doit tous accomplir tellement de choses en un temps limité. Parfois, certains s’amusent à reléguer le rôle de la maman au second plan, alors qu’au contraire, il est le plus important. On doit rassurer, aider, accompagner, comprendre. Tout ceci pour répondre aux besoins de sa famille. Ce qui est de loin la chose la plus difficile. Alors dès que vous déposez tout le monde à l’école, prenez du temps pour ne rien faire ! Oui, oui, même une heure si vous voulez, et au diable qui s’habille en Prada le linge et le reste, vous aurez le reste de la journée pour le faire.
Je vous embrasse très fort. À très vite.

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