Je ne sais pas pour vous, mais chez nous, lorsqu’arrive le moment du Chabbat où ma famille et moi même devons nous réunir pour dîner, nous sommes bien loin de l’image idyllique de la tribu parfaite qui se met à chanter et à rire tous ensemble ! C’est plutôt le bal des relous qui me demandent en continu : à quelle heure ça finit demain ? 5h55 ? Ou 5h53 ? ». Malheur à moi, si je me plante d’une minute sur l’horaire de sortie. D’ailleurs, dès que j’allume mes bougies depuis quelques semaines, voire des mois, un phénomène étrange se produit. Comme téléguidé, mon garçon s’affale sur le canapé du salon et s’endort d’un sommeil de plomb. Afin qu’il assiste au Kiddouch, bien des fois avec mon mari, nous nous sommes aventuré à le réveiller. Interrompre le sommeil du monstre du Loch Ness aurait été bien moins traumatisant. D’une humeur massacrante, il venait à table, sa bouche se transformant en mitrailleuse, et distribuait des réflexions assassines à celui qui croisait son chemin, (c’est -à -dire nous et ses sœurs !)
Du coup, avec mon mari nous avons préféré battre en retraite et avons complètement abandonné l’idée qu’il assiste au repas du vendredi soir, jusqu’à la semaine dernière… Toute la semaine, j’avais à peine vu mon aîné. Alors le jeudi, en mode vintage, j’avais rédigé une invitation à dîner que j’avais glissée sous sa porte. J’avais même dessiné la case « Attendu » afin qu’il la coche. Beau joueur, après l’avoir dûment remplie, il m’avait fait parvenir sa réponse de la même manière. En attendant avec impatience vendredi, j’avais tout donné pour lui faire ses plats préférés.
Accompagnée de ma naïveté à croire encore à l’humanité, j’allumai mes bougies. À peine 30 secondes après, le gosse se dirigea vers le sofa pour s’endormir quasi instantanément. J’eus beau le secouer comme un prunier, rien à faire. Notre petit s’était fait piquer par la cartomancienne invisible du Chabbat, celle-là même qui fait sa tournée tous les vendredis chez pas mal de monde ! Un jour prochain, la reine du Chabbat va la croiser et va l’enfoncer dans une manivelle intestinale. (c’est une méthode de torture datant du Moyen-âge, qui consistait à étrangler sa victime, tout en l’éventrant). Après des tonnes de tentatives, mon mari me conseilla de laisser tomber. Donc de 16h01 de l’après-midi, jusqu’au samedi matin 10h45, le petit gueux dormait ! Un moment, j’étais tellement inquiète de le voir dormir aussi profondément, que je suis partie vérifier trois fois s’il respirait encore, comme quand il était nourrisson. Vers les coups de 11h00 le lendemain matin, je le vis émerger et l’invita à participer à cette magnifique journée. Je crois bien que même l’homme de Cro-Magnon, avait dû s’exprimer avec plus de syllabes que lui. Sentant l’Harissa me monter aux narines, telle une dinde la veille de Thanksgiving (c’est jeudi !), je caquetai et décidai d’en faire une affaire personnelle. Au début, je sortis de grandes phrases type : « on se saigne jusqu’à la moelle pour te payer l’école juive et même pas un Kiddouch, même pas une petite prière ! C’est honteux ! ». Étant donné qu’il continuait de m’ignorer superbement, pour avoir plus d’impact, je décidai d’aller chercher mon balai en renfort ! Le temps de revenir avec lui, mon grand avait osé se recoucher. Face à ce corps enseveli sous la couette, pour signaler ma présence, je lui tapotai dessus à l’aide de mon pote chevelu. Résultat : il n’a même pas sourcillé (mon fils, pas le balai). De plus en plus énervée, je passai au level supérieur en le menaçant de lui fracasser le crâne s’il ne se levait pas et de toute mes forces, j’ai commencé à tirer sur sa couette, encore, et encore jusqu’à qu’il cède. Enfin debout, je lui donnai deux buts à accomplir : me demander pardon de m’avoir posé un lapin, et de me faire la prière sur le vin. Pour moi, mes requêtes c’était du cake ! Pour lui, c’était le mont Sinaï à escalader.
–Et si je veux pas, tu vas faire quoi ?
–Je veux juste un pardon et une prière. C’est pas cher comme effort et cela peut te rapporter gros.
–Genre quoi ?
–Un plus grand amour pour toi ! (Sur le moment, je n’avais rien trouvé de mieux…)
–Qu’est-ce que je m’en fous !
–Bon, demande-moi pardon. Fais-moi la prière et on passe à autre chose.
Le mari vient en renfort et essaye de le convaincre à son tour, mais rien à faire. Il ne voulait rien savoir. Après 25 tentatives (j’ai compté dans ma tête) où je l’avais quasiment supplié de me demander pardon (un comble !). Épuisée par tant d’arrogance, je finis par prendre le verre de vin que j’avais en main et versa la totalité de son contenu sur sa tête.
Père & fils furent choqués. Perso, j’étais méga fière de ne pas lui avoir cassé le verre en porcelaine sur la tête (on sent la meuf qui a pris de l’âge, qui a plus trop de force. Ou qui est tout simplement moins folle qu’avant.) Là, ce fut le déclenchement des grandes eaux. En bonus, j’eu le droit à « t’es une tarée/ faut t’enfermer/je suis tout collant/je te déteste/ t’es bonne à être enfermée ! » etc etc… tant de passion pour un verre de vin, c’était franchement excessif comme réaction. À bout, j’allai me réfugier dans ma chambre. Deux minutes plus tard, mes filles qui avaient assisté à toute la scène, vinrent me chercher. Une serviette autour du cou, le livre de prière ouvert sur ses genoux, la kippa fraîchement posée sur la tête, mon petit rebelle me demanda pardon la tête basse, le voilà qui et entama enfin le chant du jour. Ensuite, on s’est tous habillés et on est partis se promener au parc. Assis sur un banc, les esprits plus clairs, chacun s’est mis à rejouer la scène du « jeter de vin » version slow motion.
Il est clair que le « jeter de vin » ne va pas me faire gagner un Grammy Awards catégorie : parent de l’année. Mais pourquoi je ne le laisse pas tranquille cet enfant ? Moi aussi quand j’étais ado ça me soûlait de venir à table. J’étais crevée de ma semaine (crevée de quoi ? Je me le demande encore !). Sauf que, bien des années plus tard, j’ai compris à quel point, pour ma construction personnelle et mon l’équilibre mental (et il n’est pas fameux !), il était primordial d’être présente aux repas. Ces repas Chabbatique en compagnie de ses parents et ses frères et sœurs, sont l’une des seules choses que l’on emporte avec nous quand on quitte le nid. Ces petits moments en famille, sont le socle mental de chacun ! C’est l’une des valeurs pour lesquelles qu’on n’a pas le droit de laisser tomber ! Il faut dire et redire à nos enfants à quel point leur présence à nos côtés est précieuse. Cela leur donne de la confiance en eux et construit leur estime d’eux-mêmes. Voilà pourquoi je n’ai pas voulu lâcher mon grand et aussi longtemps que D. me donnera la santé, cette lutte continuera ! Au moins, il est prévenu. Promis, bientôt, je vous raconterai le chabbat où mes parents avaient invité tellement de monde, que j’ai dormi à la belle étoile sur le balcon en compagnie de mes sœurs.
Je vous fais plein de bisous. On se retrouve mercredi pour un nouvel article. Bisous.