Une juste parmi les nations !


Quand ta proprio t’appelle et demande à te voir, ce n’est jamais bon signe ! En général, c’est soit pour t’augmenter ton loyer, soit pour te virer de son appart !
C’est sur ces intuitions vachement rassurantes que je raccroche avec elle, pour directement appeler mon mari et lui faire savoir ce que je pressens :
– Je te dis qu’elle veut récupérer son appart ! Ça se sent à trois kilomètres à la ronde ! C’est relou, je l’aime bien moi cet appart ! Tu crois que je commence à faire les petites annonces ?
– Est-ce que tu peux te détendre ? On va tout reprendre depuis le début. Redis-moi exactement ce qu’elle t’a dit, et explique-moi ce que toi, tu as compris. Ne le prends pas mal, Junes, mais il y a souvent un décalage !
Ce qui lui a valu un bon raccrochage au nez en bonne et due forme ! Non mais ! Comme si j’étais une de ces bonnes femmes qui tirent des conclusions à la hâte !
Plus tard dans la journée, je reçois un texto de la part de ma moitié, qui m’explique qu’il a invité la détentrice de notre appart à diner vendredi soir !
– Vendredi soir ? Mais c’est chabbat, ça !
En raccrochant, je suis tout de même heureuse d’avoir Farida à notre table… Et pour cause. Je me souviens comme si c’était hier, de notre première rencontre.
Lorsque Micka et moi, sommes arrivés dans la grosse pomme, nous nous sommes vite rendu compte qu’en terme d’immobilier, l’île n’est pas remplie de pépites, mais bien de pépins ! C’est bien connu : à New York, les loyers sont hors de prix, pour vraiment pas grand-chose ! À force de visites avec des biens catastrophiques, c’est pratiquement résignés, qu’à la soixante-dixième visite d’appartements, qu’on s’est dit :
– Allez, le prochain, on le prend, quoi qu’il arrive !
Et puis un jour d’été, il y a cinq ans maintenant, notre agent, Ross, (oui, oui, le même prénom que Ross de Friends !), arrive, confiant, en souriant, pour nous dire qu’il nous a enfin trouvé THE appart de nos rêves qu’on sera forcément obligés de prendre (sinon il allait se pendre) ! Il aurait été tout à fait crédible, s’il ne nous avait pas répété la même phrase avant les trente dernières visites. Je ne saurais expliquer pourquoi, mais dans mon fort intérieur, je sentais que cette fois-là, c’était différent. (La fille qui se prend pour une voyante !)
On sonne à la porte, et une charmante dame est venue nous ouvrir. Dès le vestibule, j’ai toute de suite compris que nous étions sur la bonne voie (mazette, c’est la première fois que j’utilise le mot vestibule !). « De chambre en chambre, de train en train, de ville en ville, je n’avais jamais, je te le jure, jamais je n’ai pu oublier ton… » Euh non ! C’est pas tout à fait ça, la suite, bien que l’appartement ne soit pas mal, il a quelques défauts non négligeables, comme la minuscule cuisine :
– Y a même pas assez de place pour pétrir son pain !
Mais quand même, nous arrivions à nous projeter avec nos propres meubles, et ça, mes amis, c’est un signe que l’appart pourrait bel et bien convenir. Cependant… ce qui m’a le plus intriguée dans cette visite, c’est le salon. Ou plutôt, la table du salon : des tas de livres du Coran étaient éparpillés de partout ! En m’observant, Farida, la proprio, nous propose de prendre place sur son fauteuil, en attendant qu’elle nous prépare un thé à la menthe :
– Extra ! Mais oui, avec plaisir !
C’est trop sympa de sa part ! Ça change de d’habitude, où l’on te fait faire trois petits tours et tu dégages ! Oust ! Du balai !
Quelques minutes plus tard, la propriétaire revient avec le full package#visiteur#kifftotal : plateau oriental + petits gâteaux, en nous précisant que les cookies sont…Kasher. À ce point-là, c’est écrit sur nos fronts qu’on est feuj ? Ça va, on peut laisser un peu de mystère, au moins quatre minutes ! Mais non, car Farida n’est pas comme les autres. Elle est non seulement perspicace, mais c’est une femme très efficace ! Pour tout vous dire, je n’ai jamais rencontré une personne comme elle.
(À part peut-être, Sœur Galin, avec qui mon papa a créé l’association judéo-chrétienne de Normandie, mais elle n’est plus de ce monde).
Tout en nous servant, elle nous demande ce que nous faisons dans la vie. Nous répondons aux questions demandées, et puis soudain, la dame nous demande si nous sommes pressés. Mon mari me regarde, et me dit qu’il doit retourner au boulot, mais qu’il peut rester un peu plus. Banco ! Elle hoche la tête, et commence son récit :
Elle est de confession musulmane, (je crois qu’avec les livres du Coran, j’avais compris), d’origine iranienne. J’apprends que c’est une princesse au deuxième degré de la famille royale du Chah d’Iran. Lorsque la monarchie a été renversée, comme beaucoup, elle a dû fuir son pays, avec ses filles sous le bras. Son mari a préféré rester pour des raisons qu’elle n’a pas évoquées. Elle me décrit avec nostalgie les merveilles dont regorgeait le palais iranien dans lequel elle a grandi (Ah, c’est pour ça, toutes ces sculptures. J’espère qu’elle ne compte pas nous les laisser, parce que j’aime pas du tout !). Elle me raconte qu’en venant aux États-Unis, elle a eu beaucoup de chance de trouver un boulot tout de suite dans un laboratoire de biologie, car en parallèle de sa vie de princesse, elle a eu la bonne idée de passer un master, et d’apprendre quatre langues, dont l’anglais (normal, voyons !).
Farida m’explique que depuis quelques années, elle est à la retraite. Mais attention ! Ce n’est pas pour aller au café avec ses copines (ah bon ! Pourquoi ? C’est sympa, le café avec les copines !). Certes, mais pas pour elle, car cette gentille dame s’est donnée pour mission d’amener la paix dans le monde :
– Bravo ! C’est magnifique comme projet ! Assez utopique, mais magnifique !
Et là, la conversation prend une tournure assez phénoménale, parce que dans la vie de tous les jours, nous rencontrons tous types de gens qui parlent soit pour se rendre intéressant, soit pour ne rien dire, mais pas ma proprio. Depuis 2011, elle parcourt le monde pour combattre le terrorisme par la culture. Ce petit bout de femme par sa taille, se rend chaque fois qu’elle le peut, dans les prisons, les facultés, les postes de police, pour enseigner aux prisonniers que nous avons tous le même D. : catholiques, musulmans, juifs, protestants, nous avons tous le droit d’exister chacun à sa façon.
Farida se bat pour obtenir des autorisations pour aller parler aux terroristes. Elle entre dans les prisons, s’assoit avec eux des heures durant, pour leur expliquer à quel point leur geste est mauvais et stupide, car nous avons tous les mêmes textes.
C’est là qu’elle me demande mon intervention : (Moi ? Quel rapport ? Je vous préviens, je ne vous accompagne nulle part ! Je veux rester chez moi à manger mes rice crispies) Elle veut que je lui trouve un psaume de la Thora qui prouve « qu’à la base, tout vient de la Thora » !
Dans la plupart des cas, j’aurais fait ma crâneuse, en confirmant que bien sûr, tout vient de la Thora, mais pas ce jour-là, car j’étais en face d’un être exceptionnel.
Elle est convaincue que c’est en insufflant de l’amour à ces « robots à qui on n’a pas appris à avoir du cœur » (batards, oui !), qu’ils prendront conscience que la vie est tout ce qu’il y a de plus beau.
Plusieurs fois, en faisant le pied de grue devant les facs, en accostant des étudiants, en distribuant ses tracts de paix, en expliquant ses croyances profondes : « Tous pour un, et un D. pour tous ! », elle s’est fait embarquer par les flics pour trouble de l’ordre public, mais comme Farida a un certain âge, ils la prennent généralement en sympathie, et la relâchent rapidement en lui demandant de ne pas faire de bruit, et de SE TAIRE !
Mais ils n’ont pas trop compris à qui ils avaient à faire, une femme d’affaires aussi redoutable, qui nous demande d’un coup si on prend l’appart ou pas :
– Euh…oui ! Pourrions-nous d’abord revoir le prix à la baisse, non ?
– Non, on ne revoit rien, c’est ce tarif ! Alors, on signe ou pas ?
Mon mari qui a pris le reste de son après-midi, me regarde (échange de regards inter couple télépathiques), et on dit :
– Oui, on le prend !
Depuis, régulièrement, chaque fois que notre proprio est de passage à New York, elle vient chez nous, enfin chez elle, enfin chez nous, quoi ! Elle nous raconte les merveilles qu’elle obtient des personnes qui n’ont plus rien, même pas de conscience, même pas d’espérance, juste de l’intolérance qui conduit à leur propre mort, en entrainant les autres dans leur propre chute…
Il était de mon devoir de souligner qu’il existe (encore) des personnes qui agissent dans l’ombre, pour réellement changer le monde en toute discrétion comme le font tous les Super héros, ou comme on les nomme : les « justes parmi les nations »…
P.S. : le moment fort sympathique du fameux diner du vendredi soir, c’est quand on récitait le kiddouch, et que Farida invoquait de son côté le prophète Mahomet et les siens en nous Bénissant ! Peace, love and love ! That’s it !
Enfin That’s it, elle voulait bel et bien récupérer son appart, la dame ! (J’avais raison) Mais au final, on l’a convaincue de nous le laisser encore pour quelques mois… La suite au prochain épisode !
Je vous embrasse, et vous retrouve mercredi pour une vdm MIAMI !

Junes Davis, auteur de la saga : « La vie déjantée de Junes Davis ». Disponibles à l’international sur junesdavis.com

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