« –Tu me saoules ! Tu me saoules ! Tu me saoules ! » ont été les mots de mon fiston quand je lui avais demandé d’éteindre sa PS 4, dix minutes avant l’horaire de Chabbat. Chaque vendredi, depuis des mois, c’était toujours la même stridente mélodie, suivant ses revendications :
–T’es trop religieuse ! J’en peux plus ! C’est pas une vie de me prendre la tête comme ça.
Quand j’y repense, je trouve la scène assez drôle, puisque vis-à-vis de mes parents, je pensais la même chose à son âge. (Sauf que moi, je me taisais, car j’avais la menace de me prendre une tannée si je l’ouvrais trop). Comme quoi peu importe son niveau de pratique, dès que l’enfant a assez confiance en lui pour faire face à ses parents, il n’hésite pas à faire savoir ce qui le dérange. Règles générales ou thoraïques de la maison : tout le gave, tout simplement !
Parce qu’en comparaison avec ma propre enfance, je suis largement moins religieuse que mes géniteurs.
J’avais beau lui expliquer mon désir de faire rentrer Chabbat dans une ambiance détendue vu qu’à chaque fois, je grattais mon allumette sous un déferlement de nerfs, toujours à la dernière minute :
–De toute façon, ça me gave quand tu me demandes de mettre ta kippa pour manger ! Déjà qu’à l’école on m’oblige à faire la prière tous les matins. C’est trop ! Et puis d’abord, pourquoi tu dis pas à papa de la porter lui aussi ?
–Parce que je ne suis pas sa mère, mais moi, je suis la tienne ! Alors tu respectes ce que je te dis.
– C’est pas juste !
Après une très grosse remise en question personnelle, me demandant si effectivement je ne lui en demandais pas trop, (la réponse était non), à chacune de ses rebellions, je me rassurais en me rabâchant :
–Ce n’est qu’une phase. Réponds pas meuf. Réponds pas !
Quelques temps plus tard, je recevais un email m’indiquant que mon grand était invité à une Bar Mitsva. C’est fou, de nos jours, plus personne n’envoie de cartes par courrier. En même temps, c’est beaucoup moins prise de tête et tellement mieux pour la planète. Au diable, le petit côté old school qui me manque ! Je lisais que le Chabbat complet se déroulerait au Kabala Center.
–Kabala Center… Nous y voilà !
Pour connaitre les parents depuis des années, je savais qu’ils étaient membres de cette congrégation #fil rouge #Madonna #la perruque et le bikini c’est permis.
Je respecte complètement leur choix qui ne regarde qu’eux, mais est-ce que moi, Junes, je devais envoyer mon rejeton dans cet environnement qui était à des kilomètres du nôtre ? Juste à ce moment-là, mon grand qui passait par là, me lança que tous ses copains iraient à ce Chabbat et qu’il était impensable qu’il n’y soit pas lui aussi.
–Alors, ok. Vas-y mais je te préviens, c’est pas comme chez nous.
–C’est-à-dire ?
–Tu verras.
J’avais fait exprès de garder une part de mystère, afin qu’il se rende bien compte qu’à l’extérieur de chez lui, le monde est peuplé de pensées, de mouvements et de courants, différents. En gros, qu’il aille vérifier si l’herbe était plus verte ailleurs.
Pendant tout le Chabbat je pensais à lui et étais légèrement angoissée par sa réaction. (Imagine il kiffe et il y prend goût ? On s’en fiche, le plus important c’est qu’il soit heureux en bonne santé et tout ça. Ok mais imagine IL NE VEUT PLUS RIEN FAIRE ?).
Il ne m’a pas fallu longtemps pour avoir une réponse car une minute après la fin de Chabbat, mon fils nous appelait pour qu’on aille le chercher illico presto !
Mon mari s’y colla, et sur tout le chemin du retour, mon grand ne décrochera pas un mot. Même quand on insistera. Pour seule réponse j’avais le droit à : « Je ne veux pas en parler ». Par respect pour ses émotions, je n’insistais pas (ce fut bien difficile !). Le lendemain après-midi, alors qu’il était toujours muré dans un silence de plomb, je lui proposais qu’on aille faire un tour :
–Pour aller où ?
–Allez lâche tes écrans et tes écouteurs, viens on va marcher un peu.
Quelques blocs plus tard, il se décidait enfin à me confier ce qu’il avait vu.
–C’était si bizarre que je ne sais même pas par où commencer. On est arrivé le samedi matin, tout le monde était habillé en blanc. Hommes et femmes ! Même la barbe du Rabbin était blanche ! Il y avait des écrans géants placardés partout dans la syna. Mon copain a lu sa Paracha au micro. Des hauts parleurs faisaient résonner sa voix. C’était horrible. Je voulais m’enfuir tant je me sentais mal. Pas à ma place. Tu savais toi, que c’était comme ça là-bas ?
–Oui.
–Et pourquoi tu ne m’as pas prévenu ?
–Parce que tu n’aurais pas compris. Même si je t’avais donné les raisons, tu m’aurais encore sorti que je te gave avec mes trucs de religieuse !
Là, il s’était mis à réfléchir. Puis, il m’a donné la plus belle des réponses :
–Nos trucs, tu veux dire ! En fait, je ne sais pas si plus tard je serais un grand religieux, à vouloir étudier toute la journée mais en tout cas, je sais que ce type d’endroit, ce n’est pas pour moi. Je te demande pardon de toujours faire des histoires, alors que toi t’essayes juste de me montrer ce que tu ressens.
Sentant qu’il allait beaucoup mieux, le sujet fut vite clos. Le vendredi d’après, toujours sur sa PS, j’allais le voir pour lui dire que j’allumais dans 15 minutes les bougies et qu’il avait devant lui, encore 5 minutes pour jouer :
–Ah non tu commences pas avec …. Tu sais quoi maman, d’accord. Je vais même éteindre maintenant, mettre mes chaussures et aller à la syna. By !
Alors à la question doit -ON à tout prix imposer à ses enfants son mode de vie ou plutôt les valeurs auxquelles on croit (et je suis d’accord, c’est aussi conditionner son point de vue !) : la réponse est oui ! Même si cela ne minimise pas les risques que notre enfant tourne complètement et fasse le contraire de ce qu’on lui a inculqué, surtout si on se montre excessif. Cette résultante ne concerne pas que la religion ! Prenons par exemple des parents qui se montrent maladivement maniaques. Ils vont demander 200 fois à leur enfant de ranger leur chambre et vont avoir tendance à péter un câble si quelque chose dépasse. En grandissant, le gosse ne connaissant pas le juste milieu, agira de manière diamétralement opposée ou alors il sera encore plus dans l’extrême !
Après, rien n’est facile. Il n’y a pas de mode d’emploi pour être un bon parent. Cela dit, si on essaye d’être honnête déjà avec soi-même, qu’on ne joue pas avec ce que l’on souhaite donner comme éducation, en lui donnant des bases solides, au moins on pourra dire qu’on aura essayé.
Je tiens à souligner que pour beaucoup de mamans « allumer les bougies de Chabbat » c’est déjà faire Chabbat ! Ce sont des images fortes, des repères aussi, qui dans l’imagerie d’un enfant le marqueront à vie et sont indispensables pour grandir et survivre dans ce monde de dingue car dans le fond, c’est simplement de ça dont on a tous besoin : Des repères !
Je vous embrasse fort fort. Si vous aussi vous avez des doutes, des craintes ou besoin de raconter vos expériences liées à ce sujet ou à n’importe quel autre, n’hésitez pas à me contacter sur junesdavis55@gmail.com.