Est-ce que la femme juive peut être féministe ? (et non pas être considérée comme un truc dans sa cuisine)

La première fois que je me suis rendue à la synagogue américaine près de chez moi, et que j’ai vu à la fin de l’office une dame se lever et se diriger vers l’estrade pour prendre la parole, et nous expliquer un passage de la Thora : j’étais choquée !
Je me suis demandée où j’avais pu bien atterrir !
Non mais allô ! J’ai pas rêvé, tout à l’heure, je suis bien passée devant le bâtiment juste à côté où effectivement, il y a bel et bien une synagogue libérale avec une femme rabbin qui attend à l’entrée avec son kit complet : tallith + kippa. Mais là, selon les indications que l’on m’a donné, la Lincoln Square où je me trouvais ce samedi matin, était censée me correspondre. Alors comment est-ce possible qu’une femme prenne la parole en public devant un parterre de messieurs ?
Juste avant de vous insurger mes chéris, il faut comprendre que je viens d’une famille parisienne dite orthodoxe, où le rêve inavoué de ma mère, était que nous intégrions « Pavé ». Manque de bol, notre inscription dans cette école a été rejetée, comme on jette un pavé à la marre. Alors quand j’ai vu l’autre, avec son chapeau de travers, s’éclaircir la gorge, et parler paracha, j’étais médusée à rester la bouche grande ouverte !
Quand je suis dans cet état, j’appelle THE man of the situation : mon père ! Oui, mais voilà, c’était chabbat, donc il a fallu attendre la sortie des trois étoiles pour lui parler. En attendant, je me suis rabattue sur l’autre homme de ma vie : mon mari.
Dès que l’office était fini, j’étais allée le cueillir côté hommes, et m’entend encore lui dire :
– T’as vu la meuf, elle a parlé devant les hommes et les femmes, c’est pas ouf, maintenant ? Avec la voix de la petite feuj de base qui connait rien et qui descend de sa planète.
En lui parlant, je cherchais à me rassurer, que je n’étais pas la seule à trouver cela étrange. Mais lui m’a simplement répondu que ça lui passait par dessus le talith, que ce soit une femme (ou pas) qui fasse le discours !
– Ah bon ? Et depuis quand tu mets sur le même plan d’égalité les hommes et les femmes, toi d’abord ? Non, parce que si tu veux qu’on ouvre certains dossiers de notre couple, il y a pas mal de choses à revoir.
L’homme prudent m’a gentiment entrainée vers le buffet et a changé de sujet ! Mais il me faut un peu plus qu’un kiddouch de synagogue pour ne plus repenser à ce qui me tracasse ! C’est vrai, quoi, si j’étais amenée à fréquenter régulièrement ce lieu de culte (ça fait très catho, écrit comme ça !), autant se renseigner sur l’endroit où je mettais les talons ! Après tout, ni à Genève, ni à Paris, j’ai vu une femme prendre la parole en public.
Donc, juste après chabbat, bien qu’il était plus de minuit en France, en fille sans pitié, et sans savoir vivre, j’ai appelé mon padre, et j’ai été très surprise de sa réponse…
– Quel est ton problème ? Il n’y a écrit nulle part qu’une femme n’a pas le droit de parler devant des hommes. Chanter et danser, oui, mais parler en public, encore heureux qu’elle ait le droit !
– Mais il n’y a pas un problème de tsniout/pudeur là-dedans ?
– Pas du tout ! Je ne vois pas le rapport ! Bon, il est tard ma fille, on en reparle demain. Bonne nuit !
J’ai raccroché dubitative, mais après réflexion, je me suis dit que je ne devrais pas être si étonnée, parce qu’il faut savoir que mon papa, qui est Rabbin de communauté, a toujours été considéré dans le milieu comme un original par disons… sa modernité !
C’est vrai qu’il nous a toujours encouragé nous les filles, au même titre que mon frère, à nous rendre à la syna et prier. Il a toujours célébré les nominations comme on fête des brit-miloth. Il a organisé nos bat-mitsva en grande pompe, avec autant de symbolisme et d’émotion que pour la bar-mitsva de mon frère. Sauf pour la mienne, où allons savoir pourquoi, j’ai eu droit à un après-midi spectacle avec au programme : clowns et mimes à la chaîne… si bien que depuis, je déteste les spectacles de clowns et de mimes à la chaîne. (Les clowns me font trop peur !). Pour le buffet, il y avait eu plein d’invités qui mangeaient des barbes à papa (idée de mon papa), du pop-corn, et des pommes d’amour ! Je ne veux même pas me souvenir de ma robe de communion, parce que sur les photos (que j’ai brûlées), on peut apercevoir très nettement que je portais des bagues (mais pas aux doigts), des lunettes très très vilaines qui confirmaient que j’étais en plein âge ingrat ! Je dois souligner que sous la Houppa, mon père et ses potes rabbins présents (32) m’ont fait signer, pour le fun, ma Kétouba. Une première !
En repensant à tout ça, je me suis demandée si au final, je n’étais pas plus arriérée que mon propre père. Ce serait un comble, mes aïeux !
C’est bien pour ça que je suis retournée à cette Lincoln, le samedi d’après, et celui d’après, et encore celui d’après, et j’ai découvert un nouveau monde que je ne connaissais pas : les « modern orthodox » !
Mon manque de culture, mes fausses croyances et mes amalgames monstrueux, que j’avais emmagasinés au fil des années, ont cantonné mon cerveau à la résultante affligeante d’être choquée qu’une femme comme moi ait simplement fait une intervention devant des hommes. J’étais très déçue de moi-même, et je me suis interrogée : où en étais-je avec le féminisme ?
Ce qui est un bien grand mot pour une si petite dame comme moi, qui n’atteins même pas son placard pour attraper un paquet de pâtes.
Bah oui, parce que le féminisme évoque Mai 68, les femmes qui brûlent leurs sous-tifs ! Des femmes qui se sont battues pour que nous ayons le droit de vote, de contrôler nos désirs d’enfants, d’avoir l’option d’avorter dans certains cas (lo alénou), le droit de bosser, pour ne citer que ces exemples… car la féminisme n’est pas forcément cette caricature de dame habillée en camionneuse qui insulte les hommes, qui les déteste, ou pire, qui les méprise. Non, non, non, pour moi, les féministes sont des femmes fortes, qui n’ont pas eu peur de se battre pour que nous ayons accès aux mêmes droits que les hommes, et encore, on en est loin…
Mais en quoi ma petite personne est concernée par le féminisme ? Eh bien bizarrement, depuis que j’ai décidé de me couvrir les cheveux, depuis quatre ans, je suis devenue encore plus concernée par le sujet. On pourrait croire justement que par mon choix de me couvrir la tête (dans mon cas, c’est un vrai choix!), je sois devenue aussi féministe qu’une boulette marocaine dotée d’une soumission totale envers mon mari !
Eh oui ! Plein de copines pensent, que sous prétexte que je me couvre, ou que je ne remets pas en place mon homme en public les rares fois où il m’a charriée, je suis une femme qui se fait marcher dessus ! Alors que pas du tout, en réalité, je préfère simplement garder des munitions pour mes importantes revendications, telles que : casser l’idée ridicule que si l’homme (ou la femme s’entend !) est le seul à ramener un salaire, il pense qu’il n’a aucun autre effort à fournir, alors qu’il doit en faire tellement plus, comme elle, qui doit faire plus que de faire des enfants ! Et justement, la Thora intervient sur ce sujet, et n’hésite pas à mettre les femmes qui ont marqué notre histoire en avant :
Judith, Déborah, Yaël, Hana, Ruth, Dina, Noémie, pour ne citer qu’elles, qui sont des inspirations vivantes pour notre quotidien ! Et je souligne que sans leur intervention, notre peuple n’existerait probablement plus. Mais ce qu’il y a de fort et de profond dans tout ça, c’est que la Thora nous indique clairement que chaque homme et chaque femme a dans des domaines différentes, du pain sur la planche à accomplir ! C’est un fait connu, que l’homme et la femme ont des qualités humaines totalement différentes, mais complémentaires. C’est sur cette répartition égalitaire qu’il faut travailler ! En commençant par l’éducation de nos enfants, pour plus tard former des couples qui se pousseront mutuellement, à se développer dans leurs domaines respectifs. En commençant par la base :
Un garçon doit autant aider à la maison qu’une fille, sans aucune distinction ! Et une fille doit autant étudier la Thora (Dinims, fêtes, l’histoire juive, whatever) au même titre qu’un garçon, car il le faut ! Cette égalité féminin-masculin de connaissances dès le plus jeune âge, va former des adultes et des couples tolérants et compréhensifs ! Combien de femmes comme la Rabbanite Sitruck, Metal Taïeb, ma mère, donnent des cours, des conférences, et sont investies jusqu’au cou dans les communautés, avec pour seul motivation, diffuser la Thora, et aider du mieux qu’elles peuvent les personnes qui les sollicitent, tout en menant de front leur vie de famille. Je pense que c’est ça le féminisme ! Quand la thora nous donne les lois de Nidda, pour protéger la femme, c’est féministe ! Quand la Thora impose aux hommes, et uniquement aux hommes, d’avoir des enfants, c’est féministe ! Je rappelle que la femme n’a aucune obligation d’en avoir, après, si elle veut bien consentir à donner à son mari une ribambelle de gosses, et que ça les rend heureux, why not ? Cela n’appartient qu’à leur vie de couple, et on peut aller jusqu’à émettre l’hypothèse que les religieux aiment tout simplement avoir de grandes familles !
C’est pour cela que depuis, je suis retournée dans ma synagogue moderne orthodoxe, et je suis même partie écouter sans m’offusquer la méguilat Esther, lue par des femmes, pour un public exclusivement féminin, car c’est permis !
Avec cette tendance, j’ai découvert un équilibre féministe et thoraïque qui me convient, et qui m’oblige à casser mes codes. Alors avant que je me mette à crier au scandale, je me dois d’apprendre les vraies lois de la Thora, et non à me référer à mes vagues connaissances, combinées à mes coutumes, qui ont au final un résultat totalement archaïque et confus ! Je ne parle qu’en mon nom, bien évidemment !
Je conclurai, parce qu’on n’a pas toute la journée non plus ! Que chaque jour nous est donné pour apprendre, pour ouvrir notre esprit de femme, qui ne se résume aucunement à être dans sa cuisine, faire des gosses, allumer ses bougies de chabbat, faire son pain, être tsniout, car attention les hommes sont tous des pervers, et je dois rester à la maison en savates pour me protéger d’eux ! Ce qui est n’importe quoi ! Heureusement que la vérité est à des kilomètres de ces clichés que l’on veut nous coller sur le dos, car la Thora nous demande beaucoup plus, spécialement à nous les femmes ! Et il serait dommage de se cantonner à ces petites choses, qui sont au final très basiques !
Notre rôle est d’apprendre la Thora au même titre que les hommes, d’intégrer/d’appliquer toute ces connaissances à notre quotidien de femme, pour peut-être un jour avoir le bonheur d’écouter l’une d’entre vous sur cette estrade, pour nous apprendre des choses aussi merveilleuses que vous !
Sur ce, bisous.

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