Bien avant le Covid, j’avais entamé des démarches pour entreprendre mon Alya.
– Mais t’es folle ? Qu’est-ce que tu vas faire en Israël ? Reste dans la grosse pomme, c’est mieux pour toi, va !
Au bout de 10 ans, je crois que je suis arrivée au rognon et ne vois plus que les pépins ! De toute façon, nous étions deux ans plus tard, mon dossier d’Alya était toujours bloqué à cause de paperasse qui n’en finissait pas. À chaque fois que je recevais un e-mail de Nefesh B’nefesh (L’agent juive aux States), j’avais l’impression d’être en plein Astérix et les 12 travaux. Tu sais quand lui et Obélix doivent sortir sain d’esprit d’une administration.
– C’est le formulaire B999 qu’il faut remplir, Madame Davis.
– Mais votre collègue m’a dit que ce n’était pas la peine puisque mon père est israélien. C’est impossible ! Tout le monde remplit d’abord le formulaire B999, avant le 485 ! Et puis, je constate que vos empreintes FBI ont expiré depuis 12 heures. Ils nous en faut des nouvelles qui datent de moins de trois mois.
-Oh nooooon ! Vous savez combien de temps cela m’a pris la dernière fois pour les avoir ?
-Leïtraoth, Ma mie.
Ma mie, ma mie, c’est ça ouais. Épuisés mentalement, avec le roi du Maroc, nous avions laissé de côté le dossier. En parallèle, depuis 5 ans, nous avions aussi entamé des démarches pour obtenir la Green Card mais on avait plus aucune nouvelles depuis des mois. Oui, chez les Davis on adore avoir plein de passeports dans nos tiroirs. Là, on prépare notre prochain cambriolage et on essaye de se laisser le plus d’options possible en cas de course poursuite. Pourquoi tu crois qu’on a quitté Genève !? La fille quoi croit trop qu’elle vit dans Océan 12.
Faisant chou blanc sur les deux tableaux, voilà qu’on se rend compte que notre visa expire début août. Ce qui veut dire qu’on sera mis à la porte de la case de l’oncle Sam. Un peu paniquée sur les bords, j’avais remis le nez dans les papiers mais c’était trop tard.
Et puis, il s’est passé un truc.
J’ai été invité à la baby shower d’une copine. La fête était sur un toit, la musique était à fond. L’ambiance était sympa. Dans le lot, l’une des copines, ne sachant pas quelle abeille l’avait piquée, toute l’après-midi, entre le cake couche et les bodys imprimés, elle m’avait lancée des petits lancers de javelot. Tu sais des petits pics qui sont pas bien méchants mais tu les sens passés quand même au travers de ton cœur. À mesure de l’après-midi, les petits javelots étaient carrément devenus des blocs de glace.
Comme je ne réponds jamais quand on m’attaque, surtout en public, j’étais rentrée chez moi, me demandant si je n’avais pas mal interprété les choses. Sauf qu’après avoir reçu à peu près 22 000 messages des copines présentes, pour savoir comment je me sentais après ses attaques, j’ai eu confirmation que je n’étais pas tout à fait parano.
Et puis, je cogite. Et quand je cogite je parle à D. Je lui confie que je ne comprends pas pourquoi l’autre a passé ses nerfs sur moi. Dans la foulée, je lui explique que je suis stressée pour mes papiers et m’endors dessus. Le lendemain, comme inspirée, je décide de jouer au « contre-courant ».
Qu’est-ce que le « contre-courant » ?
C’est quand tu as toutes les raisons du monde d’en vouloir à quelqu’un mais tu décides d’aller à contre-courant. Tu mets ce que tu ressens de côté et tu te montres encore plus sympa avec la personne, n’hésitant pas de lui proposer ton aide. Cette réaction est totalement irrationnelle et personne ne peut la comprendre. Mais c’est normal car cela n’a rien à voir avec la personne en question. C’est entre toi et D.
Je l’ai déjà fait 2 fois dans ma vie et à chaque fois, les résultats sont dingues.
Donc le lendemain, je prends mon tel et fais une voice note sympa à la lanceuse de javelots. Un peu plus tard dans la journée, j’avais rendez-vous avec quelques amies par zoom. Dans la conversation, l’air dépité, je parle de mon problème de visa, et d’Alya. L’une de mes amies présente m’apprend que sa sœur travaille à l’agent juive. Elle l’appelle direct et lui laisse mon numéro. Le jour d’après, soit le mardi, je reçois par whatsapp le papier manquant à mon dossier. Je me démène pour le faire remplir par mes parents.
–Mais ça fait 7 fois que l’on remplit la même feuille !
–Je sais papa, mais il faut que ce soit signé par un notaire.
–Mais ça 7 fois que je la fais signer par un notaire.
–Ça sera la 8e.
–Mais c’est une perte de temps.
–JE SAIS ! Mais signe-le steuplait.
Le mercredi, sur les coups de 10:00 du matin, je découvre un e-mail de Nefesh B’nefesh. Je peste et me demande encore ce qui va pas. Stupéfaite, je lis « Mazal toi ! Votre dossier d’Alya est finalisé et accepté ! Nous reviendrons avec une date de départ. »
J’entends la voix de Whoopi Goldberg dans Sister art qui me chante Alléluia. Je refuse de porter l’habit de bonne sœur mais entonne avec elle la chanson et saute sur mon lit pour fêter ça ! À 10h06, j’appelle ma grande sœur presque en larme, pour le lui annoncer.
–Trop bien mais je croyais que tu voulais rester aux States pour les enfants. Ça en est où votre Green card ?
–Laisse tomber. Ça fait 5 ans l’histoire. C’est mort.
Je finis ma phrase et entends mon fils rentrer plus tôt des cours. Il vient me voir et je le découvre tout fébrile. Paniquée, je dis à ma sœur de ne pas quitter et demande à mon grand ce qui ne va pas. Les mains tremblantes, il me tend trois enveloppes au nom de mon mari, de lui et de moi.
À mon tour d’être tremblante car je ne peux pas le croire. Je dis à ma sœur que ce n’est pas possible. Elle hurle “mais qu’est ce qui se passe ? Tu me fais flipper !” J’ouvre les enveloppes et découvre nos trois Green card ! À deux heures d’intervalle mes deux dossiers se sont débloqués d’un coup. S’ensuit explosions de joie, de reconnaissance, de soulagement. Je demande à mon mari et à mon fils d’aller sauter sur le lit avec moi, mais ils ne comprennent pas le délire. Heureusement, je vois apparaître Whoopi et Tina Turner qui dansent la Ora, tout en chantant l’hymne américain ! Je raccroche avec ma sœur.
Et je pense au « contre-courant », cet effet papillon-domino. Certains diront que c’est une pure coïncidence mais selon mon humble avis, rien n’est dû au hasard. Quand tu lâches prises sur quelqu’un qui t’as fait du tort, surtout en public, t’as deux options : soit tu te braques et tu lui en veux, soit tu laisses couler et tu t’en fous ! À part ton égo égratigné et que certains vont penser que t’es une mauviette, je te promets, tu ne perds rien. Surtout si tu sais que tu n’as rien fait et que c’est juste que l’autre qui passe une mauvaise passe, ce qui nous arrive à tous. S’il t’arrive une situation similaire (je ne te souhaite pas !), dis-toi que c’est une aubaine pour toi. Saisis-là et demande tout ce que tu veux au Ciel.
Maintenant à savoir si on va faire notre Alya, ou si l’on reste à Ny, ça c’est la question. Rien n’ est décidé… mais de faire son Alya alors qu’on a la Green Card, c’est un sacré pied de nez au destin. Cela montre une vraie volonté d’enfin réaliser son rêve même si cela implique de sortir de sa zone de confort. On verra bien.To be continued….