Depuis deux mois, j’attendais un rendez-vous très important chez le docteur. Mes kids étant en vacances, j’avais prévu de les faire garder. Le problème, c’est que mon plan B comme Babysitter est devenu un Plan P comme Plantage atomique. Elle était censée venir mais apparemment, elle a eu un imprévu. Je ne saurai jamais lequel puisque lorsque j’ai voulu confirmer sa venue, je n’ai obtenu aucune réponse de sa part. Pourtant, ce n’était pas faute d’avoir essayé de rétablir un contact humain : « JUNES.TELEPHONE.MAISON ». Après avoir envoyé mes trois emails, mes deux sms, et mes quatre Messenger, elle m’a prouvé qu’on a tous en nous un gros potentiel d’harceleur en herbe, avec cette soif de savoir POURQUOI ELLE NE ME REPOND PAS. À elle seule, elle avait ravivé cette capacité en sommeil que j’avais déjà exploitée durant ma jeunesse. Avec ces gars qui plutôt que de me larguer, avaient préféré ne plus me donner de leurs nouvelles du tout. Je me souviens leur avoir laissé « quelques messages » pour m’assurer qu’ils n’étaient ni morts/ni accidentés de la route/ ni frappés d’amnésie. Et puis un jour, j’ai compris que si le gars te rappelait pas, bah… c’est qu’il ne voulait pas de toi, mon chou ! Depuis, j’avais arrêté ma « psychopathomanie ».
Bref, en gros, j’avais dû prendre mes petits chéris avec moi. Après tout, ils sont grands maintenant, et savent se comporter « sur un temps limité » comme des êtres civilisés et polis.
On arrive là-bas et tout se passe crème. Pendant mon temps de papotage avec le Doc’, j’avais quand même prévu plusieurs munitions, tels que des crayons de couleur, feuilles de papier, et victuailles. Même si une fois sur place, ils avaient largement préféré regarder la télé. Un grand merci à la secrétaire qui leur a donné des sucettes (32), et des stickers (120), que je retrouverai le soir collés dans les cheveux au moment du récurage de tête. Sinon, rien à signaler, Smith !
Vers la fin, le Doc a même discuté avec mon grand pour savoir s’il voulait à son tour devenir médecin, « parce que je suis sûr que ça va faire très plaisir à ta mère ». Réponse de l’intéressé :
– Moi, un docteur ? Hors de question ! Ce que je veux devenir plus tard, c’est joueur professionnel de jeux vidéo, et thérapeute de couple. Parce que je trouve que de nos jours, les couples ont du mal à se parler, vous-voyez. Prenez mes parents, par exemple…
– Trop drôle ce gosse ! Au revoir, Docteur. À bientôt.
C’était la première fois de cette journée que j’ai eu envie de mourir… de honte, la deuxième n’allait pas tarder à arriver !
Comme mes petits avaient été sages, je m’étais dit que ce serait sympa de les emmener manger des sushis (et parce que j’avais aussi la flemme de leur faire à manger. Saviez-vous que les enfants mangent trois fois par jour officiellement, et en continu officieusement ?). Comme nous étions tout en bas de Manhattan, et que je n’y descends que très rarement, j’avais googelisé pour trouver un restau Kasher à proximité. Toute contente, j’ai découvert qu’il y en avait un juste à deux blocks. Banco !
On est arrivés devant, et je me suis vite rendu compte qu’on avait atterri dans un petit boui-boui très propre, avec une queue assez phénoménale. En même temps, nous étions à la pause déjeuner. La bonne nouvelle c’est qu’en deux-deux, nous avons payé notre commande, et on a du attendre…
Au bout de vingt minutes, j’avais la sensation désagréable d’être chez le coiffeur (quand il nous lave la tête, et que pauvre de nous, nous sommes toutes dégoulinantes en serviette, comme prises en otage par Mr Steeve qui n’arrête pas de nous jurer, comme à toutes les autres, que nous serons la prochaine !). Bah là, c’était pareil. Dans le lot des clients-otages qui s’agitaient d’impatience, nous avions des Uber Eat, des Wall Street guys (oui, nous étions à Wall Street) qui ne faisaient que lire sur leur téléphone et discuter très fort à l’aide de leur oreillette cure-dents/sans fil, (faut vraiment qu’Apple se penche vers un autre design parce que ça donne une allure très loin d’être cool.), et moi qui me contentais de fixer le monsieur de la caisse, parce qu’il me faisait beaucoup penser à un acteur. J’essayais de le visualiser mentalement sans ses péyotes, sa kippa et sans les fils qui pendent[1]. Mes fifilles commençaient à crier famine elles aussi, et mon fiston à perdre patience tout comme tous les autres clients qui attendaient leur commande à emporter. Heureusement que Fifille 1 avait ramené des Polly Pocket, (des jouets minuscules) dans son sac à dos. Je bavais devant la pub quand j’étais petite, ça me fait bizarre aujourd’hui, de voir mes propres filles jouer avec.
Quarante-cinq minutes plus tard, nous étions au moins soixante-quinze dans un 10 m2. Les Uber Eat, les Wall street guys, les clients… et mon fils, commencèrent à pousser des cris de protestation. Le gars qui ressemble à un acteur dont je-ne-me-rappelle-plus-le-nom, essaye de calmer la troupe en leur proposant des sauces à volonté, mais qui sont de base… gratuites ! S’ensuivent des hurlements généraux parce que quand les hommes ont faim, et qu’ils sont pressés, faut pas leur promettre des salades ! De mon côté, je devais gérer une urgence pour éviter de nous retrouver tous aux urgences, car d’ennui, Fifille 1 avant rentré dans la narine de Fifille 2 une Polly Pocket. OMG ! Après plusieurs tentatives infructueuses pour retirer le problème avec mes doigts, j’avais fini par choper des baguettes au comptoir en me disant que ça allait peut-être nous sortir de ce pétrin.
Mais d’un coup, ce fut le drame ! L’un des Wall Streets guys a commencé à vraiment vouloir frapper le sosie de l’acteur dont-je-ne-me-souvenais-plus-le-nom, sauf que l’un des sushiman, (le plus lent du monde !) avait lâché son couteau pour se laver les mains (lent certes, mais propre !) et montrer les poings pour défendre le caissier qui devait être son pote. Et tandis que triomphante, je récupérai la Polly, une vive bagarre éclata. mais grâce à D. sans en arriver aux mains, seuls des noms d’oiseaux ont volé en éclat. J’avais quand même peur que ça dégénère tant c’était tendu, alors je voulais me sauver, en me disant tant pis pour la commande. Sauf que mon grand de 12 ans, (on est -11 mois de sa Bar mitsva, le compte à rebours a commencé !) têtu, ne voulait pas partir sans ses sushis :
– C’est une question de principe ! On n’a pas attendu quatante-cinq minutes pour rien !
J’avais eu la même réflexion le matin même, de la part d’une amie celib’ :
– J’ai pas attendu 36 ans pour me marier avec le premier tocard venu !
Perdant à mon tour mon calme, je m’étais mise moi aussi à hausser le ton en français :
– JE M’EN TAPE DE TES CUCUMBER ROLLS, ON S’EN VA !
Au comble de « ma vénèrerie », le gosse me sort :
– NON ! Je ne bougerai pas ! D’ailleurs, je vais lui dire, au gars qui ressemble à celui qui a joué dans Fantastic Beast (l’opus numéro 2 sort le 18 novembre ! Yeah !) que c’est pas normal.
– Ah voilà à qui il me fait penser ! Tu dis rien du tout, on s’en va, je vous ferai des pâtes.
Soudainement (et allez, disons-le franchement) devant ce « bordel monstre », le patron tout affolé s’est décidé enfin à sortir de son sous-sol. Il a compris la situation, et avec intelligence, a contacté son deuxième restau pour envoyer du renfort. En moins de six minutes la bagarre fut maitrisée et les sushis distribués.
Quand enfin j’ai cru que l’on pouvait sortir de cette histoire qui avait duré plus d’une heure quarante-cinq, mon petit bonhomme lui, était retourné voir le monsieur de la caisse pour oser demander… un remboursement.
Noooooo ! J’y croyais pas ! Jamais en 37 ans de vie, jamais je n’ai demandé un remboursement, même la fois où j’ai cru commander le sac « la selle » de Dior, sur Ali express et qu’au final, j’avais reçu une vraie selle de cheval qui prend la poussière dans mon placard à balais ! Voilà que mon fils exige qu’on le rembourse, genre c’est son argent, en plus ! Les Uber eat dont on n’avait toujours pas honoré les commandes, étaient d’accord avec lui et le soutenaient. Les WSG, eux, avaient détalé comme des lapins à la seconde où ils avaient reçu leur butin de riz.
Et à ma grande surprise, sous la pression, le patron a remboursé mon fils… J’étais à la fois dépassée par la honte mais aussi par le soulagement, parce que je m’étais dit qu’il fallait une sacrée dose de confiance en soi pour oser. Et mon garçon (made in America) a ce truc en lui, ce qui est au final formidable. On le lui a injecté par intraveineuse à l’école avec cette notion de « demander toujours on ne sait jamais. Le plus idiot finalement, c’est celui qui ne demande pas ! ».
S’ensuivra une longue conversation sur le chemin du retour sur les choses à améliorer dans ce monde, comme quand t’as un restau entre midi et deux qui doit non seulement assurer le service, mais aussi honorer une commande de 400 sushis frais pour une réception chez un gouverneur alors qu’ils ne sont que deux.
Du coup, ma Vdm était en fait une Vpe : Une vie pleine d’espoir d’autant plus que mon rendez-vous chez le docteur était une belle promesse d’espoir pour l’avenir.
On se retrouve next week pour une chro encore plus personnelle avec pour titre : quand la main de D. se mêle de la vie de Junes Davis.
[1] Plus connu sous le nom de Talit Katan, les hommes à tendance religieuse le portent. Les sépharades ont l’habitude de le garder à l’intérieur de leur pantalon, les ashkénazes à l’extérieur. J’ai commencé à lire une explication supra compliquée sur la réincarnation des âmes, mais comme j’ai pas tout compris, je préfère vous écrire ce que j’ai appris étant petite. Le talit katan sert à l’homme à avoir sur lui en permanence les 613 commandements/Mitsvot. Les nœuds dans les fils correspondent à ce nombre. Bisous