Mon expérience a commencé lorsque j’ai eu la bonne (mauvaise) idée de demander conseil sur un groupe FB, sur un minuscule souci de mémoire qui s’est manifesté récemment (bonjour, je m’appelle Dory).
Suite à ce poste, je reçois de très bonnes remarques : manque de sommeil, de concentration, de magnésium, de fer… et des moins bonnes : Alzheimer précoce, crise d’amnésie, tu deviens folle, qui sont pire qu’une recherche Google qui t’annonce que d’ici très peu de temps, tu vas mourir dans d’atroces souffrances. Quand soudain, je reçois un message en privé, toujours en réponse à mon petit problème :
Bonjour, j’ai lu ton post, et je pense que tu as subi un choc émotionnel lié à ta famille, il serait bon d’en parler. Je suis thérapeute intergénérationnelle. (Rien qu’avec l’appellation, j’aurais dû me méfier de cette branche thérapeutique) On peut faire des recherches liées à tes antécédents familiaux, ce qui peut éventuellement débloquer des choses.
De nature curieuse (pigeonne !), je lui réponds : Banco, on va la faire cette séance. Rendez-vous demain en Facetime. Le lendemain, je me connecte avec le monsieur, et là, attention…nous rentrons dans la 5ème dimension du GRAND N’IMPORTE QUOI !
J’ai en face de moi un homme avec une chemise blanche ouverte presque jusqu’au nombril, où l’on peut apercevoir plus que ce que nous avons demandé. Je mets son allure de côté comme feu Diam’s, j’essaye de dépasser les clichés (surtout quand on a habité quinze ans Clichy), et il démarre :
– Vous savez, j’ai lu votre premier bouquin…
Petit coup de stress, car je ne sais jamais si le retour va être bon ou mauvais !
–… et j’ai adoré…
Fiouff, c’est bon, je peux continuer de transpirer normalement.
– …Vous savez, moi aussi je vais écrire un bouquin. L’histoire de ma vie est extraordinaire !
Super ! J’ai le droit de dire qu’à l’instant T, je m’en tape, parce qu’on a un choc intergénérationnel qui attend d’être réglé.
Après six minutes de papotage lié à son futur bouquin, il commence avec la première question :
– Racontez-moi un souvenir qui date de l’époque où vous étiez dans le ventre de votre mère.
Hein ? Tu charries chéri ! J’ai du mal à me souvenir des prénoms de mes gosses lorsque je dois les appeler, et tu veux que je te raconte un truc en l’an 0 de ma vie ? Ça va pas être possible frérot, et ferme moi au moins deux boutons, la vue me perturbe !
– Aucune idée !
– OK, je vois… On va faire différemment. Racontez-moi une anecdote liée à la grossesse que votre maman vous a raconté quand vous occupiez son ventre. Mais avant de me répondre, étiez-vous un enfant désiré ?
Je trouve la question hyper violente, vu que ça fait sept minutes que je connais cette personne ! Je réponds que oui, et comme pour justifier sa question, il m’explique que si un enfant est venu au monde de façon « accidentelle », ça peut avoir des graves préjudices sur son existence (culpabilité, bonjour, je vous écoute ?), mais revenons à l’anecdote.
Je me creuse le cerveau, et me souviens que lorsque ma mère m’attendait, elle se rendait à son travail en bus. Tous les matins, elle passait devant l’affiche de Paul Newman, et elle demandait à D. d’avoir un enfant avec les yeux bleus, ce qui est arrivé. Je trouvais le clin d’œil de D. très chou.
Bo, bo, bo, qu’est-ce que j’ai fait de raconter ce truc à cette personne. C’est comme dans un tribunal, tout ce que vous direz sera retenu contre vous, sauf que je ne le sais pas encore :
– Madame Davis, je peux vous appeler Junes ?
– Non.
– Très bien, Junes, tout est très clair dans ta tête (on se tutoie carrément !). En fait, tu as été inconsciemment formatée pour être dans la lumière, Paul Newman correspond au show business, Hollywood, tapis rouge, donc tu recherches la reconnaissance, la gloire, la beauté !
Amour gloire et beauté lalalalalalalalalalala !
– C’est évident que des codes familiaux ont été enregistrés pour que tu deviennes célèbre, car je sens en toi une constante recherche de reconnaissance de ton public.
WTF ? SUIS-JE UNE CHANTEUSE DE CABARET OU UNE CANDIDATE POUR THE VOICE ?
– Tu as dû prendre ce souvenir pour enfouir tes problèmes certains que tu dois avoir avec ta mère.
Oh my ! Face à de telles sornettes, je reste stoïque comme bloquée, sans voix. Le diseur de bonne aventure, car appelons un thérapeute, un thérapeute, et celui-là n’en est clairement pas un, me propose de « lâcher prise » avec un jeu :
– Parce que Junes, je te sens dans le contrôle extrême de toi-même. Limite obsessionnelle de la gestion de ton image, de ce que les autres pensent de toi !
Eh bien, en moins de douze minutes, ce type vient de me trouver pas moins de sept névroses au compteur ! La seule chose que j’ai envie de lui dire : Vaudrait mieux chouchou que je ne lâche pas prise avec ou sur toi, car tu viens de démolir le seul souvenir que ma mère m’avait raconté, et qu’en plus, selon toi, je serais une personne egocentrique, assoiffée de pouvoir, de lumière et de sang !
– Je comprends que tu préfères garder le silence ! Le mieux c’est que nous fassions un jeu, Junes, pour que tu sois moins stressée.
– Mais je ne suis pas stressée !
– Chut ! Bien sûr que tu l’es ! Imagine que tu es sur un bateau. Dis-moi à quoi il ressemble. Comment le nommes-tu ? Quel est ton rôle ? Qui y a-t-il dans la cale ?
J’ai une folle envie de finir cette « conversation-jugement », mais il faut toujours donner une deuxième chance au produit que l’on teste, alors je me mets à répondre le plus spontanément possible (j’aurais pas dû) :
– Je vois un petit paquebot qui s’appellerait la Viva. Je suis comme Rose dans Titanic, et crie en bout de proue : je vole ! Avec la musique du film en fond. Dans la cale, il y a de la nourriture, of course, du vin, parce qu’on risque de s’ennuyer sur un bateau paumé dans l’océan, et puis en plus, si on doit faire le Kiddouch, faut prévoir le coup. On pourra y trouver un peu de bière parce que je suis amoureuse de l’écossais roux de la série d’Outlander qui adore aussi le Whisky.
Et c’est le drame. Mon D. qu’est-ce que je n’ai pas dit !
– Tout est très clair, Junes ! Je vois (dans ta boule de cristal ?) que « la viva » donc la vie fait référence à la mort ! Tu te laisses porter pour rejoindre D. Tu as prévu de la nourriture car ta famille a dû souffrir de famine. Tu dois être une alcoolique refoulée.
–Si c’est refoulée, ça va !
– Mais c’est le mot bière qui est flagrant pour moi ! BI veut dire deux, et « ière » fait référence à l’air que l’on respire quand on sort du ventre de sa mère donc il est clair que tu as peur de tomber enceinte une troisième fois car ta grand-mère a dû perdre des jumeaux lors de sa troisième grossesse donc inconsciemment, tu as peur de mourir ou de perdre un bébé. J’ai pas raison ?
Je suis tellement choquée que sans m’en rendre compte, j’ai porté ma main à ma bouche. C’est comme un accident de voiture sur le périf, tu sais que c’est mal de regarder mais tu regardes quand même. Il est impensable qu’après 40 minutes de discussion une personne qui sort de nulle part balance des conclusions sur des sujets aussi graves, juste comme ça ! Ah si, c’est grave : la mort des supposés jumeaux de ma grand-mère, ma propre mort, mes peurs, mes…
– MÉMÉ ! Mais qu’est-ce que tu fais là ? Tu viens d’où ?
– Bonjour ma fille, j’étais tranquillement au jardin d’éden, en train de me promener avec mes copines, quand l’autre a parlé de moi. Tu vas me faire le plaisir d’arrêter de DÉCONNER avec ces bêtises ! Va faire à manger à ton mari parce que ces temps-ci, c’est moins bon que d’habitude. Perd pas ton temps, ma fille. Va préparer pour ce soir la soupe d’orge perlée, et n’oublie pas l’orge comme la dernière fois.
– Maintenant que je te vois, c’est combien de bottes de coriandre que tu mettais dedans, déjà ? Je n’ai jamais réussi à reproduire exactement le même gout que quand tu me la faisais.
– Ça, c’est normal ! Tout ne dépend pas de la mesure des ingrédients, mais de l’amour que tu mets dans ta préparation. Tu te rappelles des poivrons grillés que je te préparais alors que j’étais à moitié aveugle, cela était une preuve irréfutable de mon amour pour toi, et pour le reste de la famille. Faire confiance à Hashem qui règle pas mal de choses, y compris tes problèmes de mémoire, qui sont dûs au fait que tu fais comme toutes les femmes d’aujourd’hui 200 choses à la fois, portable à la main. Éteins l’ordi ! À plus.
– Bon bah je crois qu’on a fait le tour, là. J’ai tout ce qu’il me faut pour écrire ma prochaine chronique de lundi. Merci beaucoup. À très bientôt.
Dans un élan de désespoir il me propose un autre rendez-vous à 85 euros/la séance, car il pense que le poisson qu’il a harponné a mordu à l’hameçon, sauf que le poisson préfère retourner dans la mer pour oublier ce tissu d’absurditées.
Il est certain qu’il y a des professionnels dans cette branche thérapeutique, qui peut s’avérer sur le long terme , notamment sur des passés familiaux lourds et graves comme la Shoa, ou la mort d’un enfant (Lo Alénou), les viols, et j’en passe ! Sauf que mes amis, je vous mets en garde contre des personnes qui auraient dû être à la sortie du métro Château-d‘eau pour vous proposer soit une consultation avec un Marabout, soit un tissage (j’ai une super adresse au cas où, de tissage, pas de marabout). Ces gars-là ont au moins l’honnêteté d’être clairs dès le départ, et vendent un délire : t’y crois, t’y crois, c’est ton problème.
Ce genre de charlatans n’est pas à la sortie du métro, mais sur les réseaux sociaux, à essayer de s’enrichir sur la tristesse et les soucis des gens qui cherchent une forme d’aide. C’est pour cela que je vous demande, par amour pour vous, de faire très attention. Si vous avez des soucis, parlez d’abord à une amie, à une sœur, à un parent, ou quelqu’un digne de confiance, ou alors un professionnel fiable et réputé ! Je vous recommande chaudement Myriam ben et Sarah Abelansky. Pour tous renseignements complémentaires, écrivez à Tata sur junesdavis55@gmail.com
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Je vous embrasse, mes chéris, à très vite.
Ps : Le plus drôle dans cette histoire, c’est qu’après vérification, concernant l’anecdote sur Paul Newman, je me suis rendue compte que j’avais tout faux. Ma mère m’a confié que c’était quand elle était enceinte de mon petit frère, et que j’ai dû associer ce souvenir. Le mieux, c’est que j’appelle quelqu’un pour essayer de comprendre le transfert que j’ai fait. LA FILLE QUI COMPREND RIEN À LA VIE mais relis toi bon sang ! Bisous !