Mémoires d’un Rabbin des conversions à sa fille. Chapitre IV

Chapitre 4 : Mon voyage bouleversant à Auschwitz et le cas Levy.
Dans la vie d’un homme, il y a parfois des moments forts qui marquent à vie. Je crois que si je devais résumer les six ans que j’ai passés en Normandie, je retiendrais ce voyage que j’ai pu vivre et ma rencontre avec la famille Levy qui m’a marquée au fer rouge.
Cela faisait donc quelques années que j’étais en poste à Caen quand le président de la Licra de l’époque me contacta pour me proposer un voyage au camp d’Auschwitz, voyage que je rêvais de faire depuis ma tendre enfance. Cependant, jusqu’à cet appel, je n’avais jamais pu réaliser ce souhait de me recueillir en Pologne, en mémoire des 6 millions de juifs partis.
Dès les premières minutes de notre échange, je savais que j’allais accepter sa proposition. De plus, j’allais demander tout naturellement aux membres de ma communauté s’ils souhaitaient m’accompagner.
À ma grande surprise, ils refusèrent farouchement et s’opposèrent même à ma participation ! Les raisons évoquées furent aussi choquantes qu’incompréhensibles d’autant que la Normandie est étroitement liée à la seconde guerre mondiale depuis le débarquement effectué aux abords de la Manche. Sans compter que le cimetière américain est visité par des millions de personnes venues des quatre coins du monde.
À la suite de cette réaction négative, avec certaines personnes, nous avons créé une association dénommée « mémoires historiques ». La ville de Caen, et le maire DE Hérouville Saint-Clair, avaient bien voulu nous subventionner. Ils nous avaient envoyé une cinquantaine d’enfants pour faire partie du voyage. La décision de subvention a été prise suite à une agression, à l’université de Caen, d’une jeune fille qui portait une Maguen David autour du cou, bien que non juive qui fut défigurée. Les autorités civiles avaient ainsi voulu montrer par cette aide qu’ils prenaient ce drame très au sérieux.

Très rapidement, nous prîmes la décision d’affréter un avion avec un challenge à la clé, qui était de savoir si nous allions remplir les cent cinquante places du dit avion. À notre grande surprise, très vite les inscriptions ont afflué. Il y avait tellement de demandes, que nous aurions pu largement en remplir un deuxième avion. Quant à moi, j’avais pris la décision de partir contre l’avis de ma communauté.
Entre autres, un curé et une sœur des ordres, Sœur Galin, (qui a été une grande amie de la famille du temps de son vivant), s’étaient joints à nous. Ils faisaient partie de l’amitié juive chrétienne Caennaise. Au cours d’une conversation, ils m’avaient ainsi expliqué qu’ils avaient senti le besoin de venir pour demander pardon. D’ailleurs, Sœur Galin consacra par la suite une partie de sa vie à développer une entente sincère entre les juifs et les chrétiens. Je reviendrais dans quelques pages sur cette rencontre incroyable car cela mériterait même deux ou trois paragraphes.
Les préparatifs allaient bon train jusqu’au moment où quelques heures avant le départ, la compagnie d’aviation avait voulu annuler le voyage car d’après eux, nous n’avions pas eu les autorisations nécessaires pour décoller. Il avait fallu, trouver des moyens rapides pour les obtenir. L’adjectif stressé était beaucoup trop faible, pour t’expliquer dans quel état j’étais. Comment expliquer à tous ces gens que nous n’allions pas partir et qu’ils allaient devoir rentrer chez eux.
Par miracle, nous avons eu une idée : Les autorités polonaises voulant faire partie de l’Europe, nous leur avons fait croire que nous étions une délégation de rabbins qui devions nous rendre sur place et qu’il faillait nous y envoyer d’urgence sinon leur entrée à l’union européens allait être compromise. Contre toute attente, ce coup de bluff a marché, et celle qui en a eu l’idée n’était autre que Madame Keller du CRIF.
Quelques heures plus tard, nous avons reçu l’autorisation et nous sommes bel et bien partis en compagnie de madame Klarsfeld, la femme du très connu chasseur nazi, Monsieur Klarsfeld.
Les journalistes de France-ouest, France info et France 3 avaient été envoyés pour couvrir l’évènement. Le voyage a été une pure réussite sauf que la communauté de Caen a exprimé son mécontentement et m’a envoyé un blâme pour avoir organisé un tel voyage car, selon le bureau, ce n’était pas mon rôle.
Notons que le président de la communauté était avec moi ! Photo à l’appui ! Preuve de l’absurdité de ce blâme ! Face à cette réaction totalement extrême, j’ai préféré faire profil bas par crainte de perdre mon travail. Ma consolation dans ce tourbillon de grand n’importe quoi, avait été de me dire que j’avais tout de même pu effectuer mon humble hommage aux 6 millions de juifs.
Comme je l’ai expliqué dans le chapitre précédent, les présidents ont un comportement souvent sournois et jouent un rôle de trouble-fête et de casseur d’initiatives. Ce qui est bien dommage. Si je devais donner un conseil à un jeune rabbin qui débute, je lui conseillerais vivement de ne jamais avoir peur de prendre des initiatives. Et s’il vit dans la crainte de perdre son bulot, il faut qu’il se montre honnête envers lui-même en favorisant toujours le bien-fondé de son objectif. Ce qui en découlera masquera toutes rancœurs (souvent nombreuses) face à d’éventuels misérables, règlements de compte. Il faut toujours tenter un dialogue mais si l’autre en face est buté, il ne faut pas en faire cas et avançait dans la voie que l’on s’est tracée.
Peu de temps après ce voyage à Auschwitz, j’ai quitté Caen en acceptant un poste dans une communauté proche de Paris. La vie est faite de rencontres et d’opportunités. On m’a demandé de venir à Clichy, par le biais de Monsieur Kaufman. C’était un homme très gentil qui était de passage à Caen. Il voulait réciter le Kaddish pour son père mais il était inquiet de pas avoir le nombre requis de personnes car ce jour-là se jouait un grand match de foot. Il était évident que personne n’allait laisser tomber sa télévision pour se rendre à la synagogue. À l’issue de cet office, il m’informa que la communauté de Clichy dans le 92 était à la recherche d’un rabbin. C’est ainsi que quelques mois plus tard, j’acceptais le poste. Ainsi, après six ans de bons et loyaux services, j’avais décidé de quitter la Normandie, moi qui avait tant fait pour la communauté. Je l’ai fait aussi pour mes enfants qui fréquentaient des écoles non juives. Il leur fallait une structure juive.

Je suis donc arrivé à Clichy en 1991, le lendemain de Kippour et l’accueil que l’on m’avait réservé était glacial. Cependant, dès que j’ai passé un entretien avec Monsieur Debash, j’ai tout de suite senti que notre collaboration allait marcher.
Peu de temps après, j’ai rencontré un ami du rabbinat, Rav Denis Akoun, qui était le directeur du service animation (note de l’auteur : C’est ce même Denis Akoun, qui est l’auteur des célèbre bande-dessiné des fêtes juives. En vente dans toutes les libraires de Paris). Il me proposa d’être son adjoint. Étant donné que la loi exigeait des personnes munies du BAFA, je suis devenu responsable des Centres aérés de communautés juives de Paris. Pendant cette période, riche en expériences, j’ai pu combiner mes deux passions et bientôt une autre qui allait naitre lors de mon passage au Beth Din de Paris dans le service des conversions. Mais avant de rentrer dans le vif du sujet, je tiens à raconter l’histoire d’une famille qui m’a bouleversée : La famille Levy et de leur fille Yaël.
Tout a commencé par ce Monsieur et cette Dame qui n’étaient pas juifs. Avec un nom typiquement juif venant du grand-père paternel, cela peut paraitre surprenant. Le mari un ancien « soixante-huitarde », mais au lieu de se diriger vers des études universitaires, il avait décidé d’aller tondre les moutons dans le Larzac. Il rencontre une femme d’une mère algérienne et d’un père breton. Ils se marient, et passionne, se retrouvent à exploiter une ferme à Orbec, situé à 60 kilomètres de Caen. Un jour, j’avais été invité à donner une conférence sur le judaïsme à la salle des fêtes à Lisieux.
Il y avait au moins 150 personnes. À la fin de la conférence un couple désire me parler. Lui, se présente sous le nom de Christian Levy (plus tard Yaacob). Le couple m’informa de leur désir de conversion au judaïsme. Ils avaient trois enfants, un fils et deux filles. L’ainé se prénomme Yaël, la deuxième Myriam, et le dernier David. Je m’étais mis à leur expliquer la difficulté d’une conversion en habitant à des kilomètres d’une synagogue. Ils m’avaient assuré que cela ne leur posait aucun problème, qu’ils allaient s’arranger. C’était de cette manière que la conversation a commencé. La famille faisait l’effort de venir un Chabbat sur deux à la synagogue. Tous les dimanches madame Levy emmenait ses deux filles au Talmud torah. Pour rentabiliser leur venue, ils se sont mis à fabriquer du fromage dont une production cachère surveille e par moi-même. Je faisais 130 kilomètres pour assurer la surveillance de la Cacherout de ce produit. Les juifs de là-bas ne leur en achetait pas. En revanche, madame Levy n’avait aucun mal à les vendre au marché à des non-juifs pendant que ses enfants étaient en train d’étudier la Torah. Comme ce n’était pas rentable, et qu’ils vivaient dans une extrême pauvreté, ne pouvant pas me payer pour la supervision et le reste, le couple m’avait offert généreusement une de leur bête qui s’était avérée être… une génisse ! J’étais devenu l’heureux propriétaire d’un veau.
Un dimanche matin, alors que la maman avait pris un médicament pour maigrir, du ezoméride qui n’était pas censé altérer ses fonctions vitales la concentration, comme à son habitude, elle avait pris sa camionnette pour emmener les enfants au Talmud. Malheureusement, sur la route, elle s’était endormie au volant et avait percuté un camion poids lourd. Les deux enfants furent gravement blessés.
Les pronostics vitaux de la cadette Myriam étaient mauvais et tandis qu’en apparence ceux de Yaël, étaient bon. En effet, à part une simple jambe cassée, elle paraissait en parfaite santé, alors qu’en réalité la petite faisait une hémorragie interne. Bien sûr je m’étais rendu au plus vite à l’hôpital pour les voir. Je lui avais parlé et avais été témoin qu’elle allait bien. Rassuré par son état, c’était serein que j’étais parti à Paris pour un congrès rabbinique national. De là-bas, on m’a appris qu’elle décéda dans la nuit. Pour la première fois de ma vie, je fus confronté à un énorme problème : où allons-nous l’enterrer vu qu’elle n’était pas encore juive ? Mais peut-on qualifier une enfant de non juive qui était sur le chemin du talmud torah ?
Pire encore ! Je reçus le témoignage, d’une visiteuse aux malades, chrétienne, qui était allée voir la petite quelques heures avant son décès. Yaël lui avait répondu qu’elle était une Bat Israël.
J’étais totalement perdu. Selon la Halakha, il faut être juif pour être enterrée dans un cimetière juif et là ce n’était pas le cas. Donc je suis parti demander de l’aide auprès de mes supérieurs car le dilemme était grand. À noter que j’étais plus que bouleversé, dévasté même ! Je n’avais pas de mots car moi-même, j’avais aussi des enfants de l’âge des petites Levy. Je me suis adressé directement au Rav Sitruk Grand Rabbin de France QUI m’avait répondu qu’il fallait l’enterrer en bordure de cimetière, comme un Cohen, mais aussi de reprendre le dessus pour trouver les mots destinés à consoler les parents. Cela fait aussi partie de notre fonction.
Pour moi, il était évident que la Néchama de la petite Yaël « non-juive » équivalait à celle d’un Cohen.
Avant de raccrocher le Rav Sitruck m’avait donné une citation pour inspirer les mots que je devais prononcer pendant l’enterrement :
–Cette rose est entourée d’épines. Il retire la rose pour la mettre sur sa table. A l’instar d’Hashem qui souhaite avoir à sa table ses plus belles roses.
Pendant les Shiva/les sept jours, le bureau avait fourni aux parents un appartement attenant à la synagogue. À la fin de la semaine de deuil, au vu du drame qu’ils venaient de vivre, les autorités rabbiniques parisiennes avait accéléré leur conversion. En quelques mois les enfants et le couple l’avaient obtenu leur conversion.
Le jour du mariage religieux du couple, monsieur Levy m’avait dit avec du chagrin dans la voix :
–Faut-il passer par une aussi grave épreuve pour devenir juif ?
L’émotion avait été vive ce jour-là. Je n’avais pas pleuré mais mon silence en disait long. Avec la mort de Yaël, c’était comme si, le camion de 18 tonnes m’était passé dessus. J’étais paralysé même pour penser et panser les blessures de la famille.
Après leur conversion, ils ont fait leur Alya et ont atterri dans un Kibboutz. Le plus fou c’est que le plus grand religieux de tout le kibboutz était monsieur Levy car c’était un kibboutz. Lui s’était mis à exiger les Sélihot. Quelques années plus tard, ils n’ont jamais oublié leur fille et ont fait rapatrié le corps en terre Sainte.
J’ai appris plus tard que leur autre fille, Myriam est revenue en France. Elle s’est mariée, puis a divorcé, Se marie, car elle s’était montrée violente avec son mari. Depuis, elle vit avec quelqu’un. De là j’ai appris, que lorsqu’une blessure est ouverte, on a beau essayé de recoudre la cicatrice, si elle est profonde elle peut se rouvrir à tout moment. D’ailleurs, les jours de jeuns sont comparés à la réouverture des blessures.
Mais revenons à mon retour sur Paris. L’une de mes plus grandes satisfactions avait été de constater que dans la communauté juive de Clichy, neuf personnes sur dix, respectaient scrupuleusement les lois rabbiniques. Au début, j’étais un peu déstabilisé de retrouver des personnes pratiquantes !
Parce que le pire dans la vie c’est que tu as la capacité de t’habituer à tout et à tous ! Même de vivre parmi les non-juifs. Comme la fois ou, je suis resté deux semaines sur un bateau ou il n’y avait ni judaïsme, ni pratique. Cela a été un peu un test pour toi-même. Tel Yossef qui est resté en prison pendant 14 ans parmi les égyptiens et qui n’a pas flanché. Quand tu t’extrais de cet endroit, tu te dis si je reste encore une semaine, je deviendrais comme eux. Selon moi, si l’on ne reste pas dans un milieu religieux, il est très difficile de maintenir son niveau de pratique (en particulier les lois de la Cacherout), on peut résister un mois maximum ! Sans parler des petits détails, comme lorsqu’à Chabbat, on passe dans un hall et la lumière automatique se met en marche. Tout est dans le détail, sinon on devient un juif de Caen.
Les Mitsvot apparentes sont respectées mais tout ce qui concerne les détails, type prendre la voiture Yom tov, les femmes qui ne vont pas au Mikvé, aller acheter sa viande dans une boucherie ouverte Chabbat et Yom Tov et qui ferme uniquement le jour de kippour se nommant malgré tout Boucherie cacher ! Participer à l’office, comme si de rien n’était après avoir ouvert sa boutique Shabbat matin a été une terrible épreuve mais je le répète, il faut faire très attention à ses fréquentations, ses amis, ses voisins car on s’habitue à tout et très vite. Nombreux sont les gens qui pensent qu’en faisant une bonne action, (exemple : être présent à l’office le samedi matin), n’ont pas l’impression d’enfreindre la loi, bien au contraire.
Du coup, revenir parmi des juifs pratiquants a été un renouvellement interne qui m’a permis de retrouver pleinement celui que j’étais. Même si je tiens à préciser que sans cette expérience professionnelle je n’aurais jamais tenu aussi longtemps au service des conversions.
La suite la semaine prochaine…
Pour me contacter : junesdavis55@gmail.com

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